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prince de Hohenzollern l’initiative au lieu de la lui conseiller, afin d’éviter de faire personnellement une concession qui pourrait être sévèrement appréciée en Allemagne ? ou bien ne veut-il que gagner du temps pour prendre, avant nous, des dispositions militaires, et laisser en même temps approcher la convocation des Cortès, afin de soutenir ensuite qu’il convient d’attendre le vote de cette assemblée ? En ne considérant que son attitude et ce que j’ai recueilli dans son entourage, j’inclinerais peut-être à apprécier comme plus vraisemblable la première de ces deux hypothèses, si nous n’étions autorisés à nous montrer incrédules ou au moins défians[1]. » Dans une lettre particulière du même jour, il ajoutait : « Je ne sais ce qu’il faut attendre de la sagesse de Sa Majesté, et je ne puis vous cacher qu’il nous faut peut-être compter davantage avec son habileté et son habitude de recourir aux expédiens. »

Notre impression fut que le Roi nous amusait. Nous sentant au milieu de menteurs, craignant à chaque instant d’être surpris par une nouvelle perfidie, hantés par cette date du 20 juillet présente devant nos yeux comme un épouvantail, nous ne pouvions croire à la véracité d’aucune parole des auteurs du guet-apens que nous essayions de déjouer. Et cette démarche du Roi, qui était sincère et dont l’intention était certainement pacifique, nous parut un épisode de plus de la comédie de duplicité dont nous avions été enveloppés : la réponse des princes consultés serait qu’ils persistaient dans leur compétition, de telle sorte que le Roi ne s’adressait à eux que pour abriter sa responsabilité derrière la leur. Nous jugeâmes la négociation close virtuellement et toute espérance de paix évanouie. Je retrouve ce sentiment dans un petit billet de moi adressé à Gramont (9-10 juillet) après lecture de la dépêche de Benedetti qu’il m’avait communiquée : « Mon cher ami, je convoque tous nos collègues chez vous aujourd’hui à deux heures. La dépêche de Benedetti est fort claire ; elle confirme tous mes pressentimens, et dès maintenant la guerre me paraît imposée : il n’y a plus qu’à s’y résoudre intrépidement et vivement. — A vous. »

Nos collègues jugèrent la situation comme nous et, en attendant les résolutions à adopter le lendemain, dans le Conseil, sous la présidence de l’Empereur, nous priâmes Gramont d’écrire et

  1. Télégramme du 9 juillet.