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Thile que le gouvernement prussien aurait tout ignoré, quoique le Roi et Bismarck eussent tout su. Le gouvernement prussien était-ce Thile ? n’était-ce pas Bismarck et le Roi ? Supposez Louis XIII disant ù un gouvernement étranger : Je savais, le cardinal de Richelieu était instruit, mais du reste l’affaire était inconnue à mon gouvernement ? « N’était-ce pas une pensée trop subtile, a dit Scherr[1], que celle qui prêtait aux hommes en général, et aux Français en particulier, la naïveté de croire à cette « connaissance non officielle » que l’on avait de la candidature, et à la « non-connaissance officielle, » dans laquelle on restait à cet égard.

C’est précisément cette façon de jongler sur les mots qui devait contribuer à répandre, en France et ailleurs, l’opinion que la candidature Hohenzollern était, « depuis a jusqu’à z, une ruse inventée à dessein par le gouvernement prussien. » Cette ruse était particulièrement transparente en Prusse où Roi et Etat c’est tout un. Et c’est Bismarck qui nous l’a appris : « Vous contestez au Roi, disait-il après la convention de Gastein, la possession de la moitié prussienne du duché de Lauenbourg en prétendant qu’elle appartient non pas au Roi mais à l’Etat. Le vice de cette prétention est de séparer le Roi de l’Etat, séparation impossible en Prusse au point de vue également du droit, des faits et de la politique[2]. »

Roi et Etat, nous dit-on, sont en effet la même chose quand le Roi agit en qualité de roi. Mais dans le Roi il y a un chef de famille qui en est distinct, et quand c’est le chef de famille qui agit, l’Etat n’est pas identifié avec lui. Scherr, dont le livre sur la guerre n’est d’un bout à l’autre qu’un pamphlet furibond contre la France et contre l’Empire, convient qu’il « faut dire maintenant à l’honneur de la vérité que l’on ne peut savoir mauvais gré aux Français si la distinction entre le roi Guillaume comme chef de la maison Hohenzollern et le roi Guillaume comme roi de Prusse était trop fine, fine comme un cheveu, pour qu’ils y prissent garde[3]. » L’Allemand se trompe ; cela ne nous paraissait pas trop fin et nous comprenions la distinction, mais nous la jugions divertissante. Cela nous rappelait le maître Jacques de notre Molière, tantôt cuisinier, tantôt cocher, selon le costume

  1. Scherr, 1870-1871, p. 114.
  2. Discours du 20 février 1866.
  3. Johannes Scherr, 1870-1871, p. 110-111.