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guerre. Si vous obtenez du Roi qu’il révoque l’acceptation du prince, ce sera un immense succès et un grand service. Le Roi aura de son côté assuré la paix de l’Europe ; sinon, c’est la guerre. »

Certainement il y a plus de rudesse dans la lettre particulière que dans la lettre officielle. Dans ces lettres particulières, on ne se croit pas astreint aux circonlocutions diplomatiques et l’on révèle sa pensée sans ambages à ses agens afin qu’ils s’en inspirent ; il ne s’ensuit pas que leur langage aura la même rudesse ; il devra évidemment être enveloppé de formules de politesse et des atténuations de formes usitées nécessaires à toute négociation diplomatique, quelque serrée qu’on la veuille. Gramont n’avait pas à le dire à Benedetti, c’était sous-entendu. Dans la lettre particulière, on parle d’ordres et non de conseils : on a fait grand état de cette différence ; en réalité, elle n’a aucune importance ; le conseil n’était que la forme polie de l’ordre, car c’eût été un ordre qu’une lettre du Roi disant à ses cousins : « Je vous conseille de vous retirer. » En style vulgaire, les deux lettres de Gramont peuvent se résumer ainsi : Vous ferez savoir au Roi que nous ne tolérerons pas l’intronisation en Espagne du prince prussien Léopold de Hohenzollern, et comme ce prince prussien, membre de sa famille, sujet à son autorité, ne peut accepter une couronne sans son autorisation, nous lui demandons de ne pas accorder cette autorisation si elle n’a pas déjà été obtenue, et de la retirer, si elle est déjà un fait accompli[1].

Gramont fit connaître ses instructions à Lyons toujours tenu, presque heure par heure, au courant de nos démarches. Celui-ci paraissant craindre que la candidature ne fût qu’une entrée en matière, il lui précisa de nouveau ce que nous étions décidés à obtenir, ce que nous étions prêts à considérer comme suffisant. Lyons communique fidèlement ces déclarations à Granville :

  1. Il est incompréhensible qu’on ait pu admettre qu’il y ait eu un dissentiment entre l’instruction envoyée et la manière de l’exécuter. Benedetti, a-t-on dit, avait compris qu’il devait obtenir la renonciation, puis ensuite l’acquiescement du Roi, tandis que Gramont voulait que cette renonciation fût le résultat de l’ordre ou du conseil du Roi. Le non-sens de cette antithèse n’a pas besoin d’être démontré. Auprès de qui Benedetti devait-il négocier et de qui pouvait-il obtenir la renonciation, si ce n’est du Roi ? Une renonciation en dehors du Roi pouvait être obtenue par d’autres que par lui, négociant soit à Madrid, soit à Sigmaringen, et alors se posait la question de l’acquiescement du Roi. Mais il était impossible d’admettre l’hypothèse d’une renonciation obtenue par Benedetti d’une autre personne que le Roi, puisque c’est avec lui seul qu’il négociait.