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de chambre un Mgr Macchi orné d’un nez démesurément long ; il disait : Si vede un naso, poi Macchi. On voit un nez et puis Macchi. Il en est de même des imperfections morales ; celle qui frappait d’abord en Benedetti était une préoccupation du soi qui allait jusqu’à la férocité. « Quand il se contemple, disait Gramont, il est ébloui. » Était-il mêlé à une négociation heureuse, le succès n’était dû qu’à lui. La négociation ne réussissait-elle pas, la faute en revenait à quelque autre et il était inépuisable en roueries et en sophismes pour dénoncer cet autre. Il appartenait de plus à l’école du mandarin J. M. F. de son ami Boulier et tout avis, pourvu qu’il fût habilement soutenu, lui paraissait le préférable. Il m’avait dit un jour avec un petit sourire satisfait : « Thouvenel m’a demandé un rapport en faveur de la reconnaissance de l’Italie ; j’en aurais fait tout aussi bien un autre en sens contraire. »

Les diplomates de race prétendaient qu’il lui manquait quelque chose, parce qu’il avait commencé sa carrière par les consulats. Quoi qu’il en soit, il avait vite acquis ce qu’on considérait alors comme la qualité la plus recommandable du diplomate : il savait faire la dépêche. Quand on avait dit : « Il fait la dépêche, » c’était le comble de l’éloge. Or, apprenez ce que c’est que faire la dépêche : c’est dire en dix pages ce qui pourrait l’être en dix lignes, allonger les petits faits jusqu’à les écarteler afin qu’ils atteignent à la longueur respectable, noyer les grands faits dans un flot de rhétorique monotone où ils perdent toute couleur et toute arête, se répandre en considérations prudhommesques vides sous un air de profondeur, à côté de l’opinion ou de la prévision exprimée dans la phrase principale, mettre dans une phrase incidente des mais, des si, des car, de façon que, quoi qu’il arrive, on se puisse vanter d’avoir été bon prophète. Chaque fois que, dans mes recherches aux Archives, je tombais sur une de ces interminables dépêches, écrites par malheur, non avec cette encre noire solide employée par nos vieux diplomates sur laquelle le temps n’a rien pu, mais d’une encre pâle déjà à peu près effacée, je poussais un petit soupir, et quand j’avais terminé ma lecture, je me disais : « Comme cette abondance aurait gagné à être réduite de moitié ! » Et si après cela je tombais sur le récit d’un Talleyrand, d’un Fleury, d’un Mercier, ne sachant pas « faire la dépêche, » racontant rondement des faits ou des propos précis, quelle délectation !

Benedetti était sérieux, appliqué, laborieux, tout à son