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ministre protestant, était un fils de bourgeois, comme plus tard Molière lui-même, par conséquent un « déclassé » au théâtre, au regard de son temps. Son père était juge ou procureur-fiscal de Thiers, en Auvergne. Il eut la gloire de créer le Cid, dont le succès valut une assistance toute nouvelle aux tréteaux où Turlupin « le fourbe » et Jodelet « le vieillard » débitaient leurs parades cyniques, où Gros-Guillaume « le fariné » savait, en remuant les lèvres, blanchir son interlocuteur de la poudre qui lui couvrait le visage. « Avec le Cid, écrit Mondory à Balzac, on a vu seoir aux bancs de nos loges ceux qu’on ne voit d’ordinaire que dans la Chambre Dorée et sur le siège des fleur de lys. Les recoins du théâtre, qui servaient les autres fois de niches aux pages, ont été des places de faveur pour les cordons bleus et la scène y a été d’ordinaire parée de croix de chevaliers de l’ordre. »

La scène, ainsi parée de deux rangées de chaises de paille qui se transformèrent plus tard en banquettes et se multiplièrent jusqu’à paralyser toutes les évolutions des personnages, était d’ailleurs, nous dit Tallemant, « d’une incommodité épouvantable. Cela gâte tout et il suffit d’un insolent pour tout troubler. » On ne s’avisa qu’en 1759 de déblayer les premiers plans de ces spectateurs qui les encombraient. Ces places, au temps de Corneille, se payaient 20 francs ; c’était une jolie source de recettes, et les comédiens gagnaient beaucoup plus que les auteurs, puisque Bellerose, créateur du rôle de Cinna, vendit à Floridor 90 000 francs « sa place à l’hôtel de Bourgogne avec ses habits. » Car les costumes appartenaient en propre au comédien jusque vers la fin de l’ancien régime. Il les payait de ses deniers. La garde-robe de Lekain lui aurait coûté 170 000 fr., d’après un mémoire de 1778, et celle de Mlle Clairon 250 000 fr.

Que Béjart en mourant ait laissé dans ses coffres, au dire de Gui Patin, 234 000 francs en or, on peut en douter ; il est toutefois certain que l’acteur Villiers et sa femme obtinrent de Richelieu 3 000 francs de pension, autant que Racine après Andromaque, et que Mondory touchait 7 000 francs, plus que Corneille ne reçut jamais. Aspirant auteur, en langage actuel « stagiaire » puisqu’il eut pour Mirame cinq collaborateurs, le cardinal veillait à ce que ses comédiens fussent payés de leur « ordinaire. »