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opinion. » L’Office de Pierre de Corbeil, en maint endroit, qualifie la nation juive de gens rea, gens digna supplicio[1]. On ne craignait pas, dans ces pièces, de reprocher aux Juifs leur incrédulité et de flétrir leur perfidie. Est-il besoin de rappeler cette strophe, supprimée, de la séquence Victimæ paschali :


Credendum est magis soli
Mariæ veraci,
Quam Judæorum
Turbæ fallaci.


Au lieu du sentiment religieux, il arrive encore, — au moins une fois ici, — que l’esprit laïque et populaire, familier et satirique, anime le vieux motet du moyen âge. La dernière pièce du recueil chante les avocats. Elle les chante à sa manière, et cette manière est double, car tandis que la partie de motet les accuse et les tourne en dérision, le triple, au contraire, les défend et les glorifie. Ainsi la classe ou la race de ceux dont la mission est de disputer et de contredire se trouve livrée elle-même à la contradiction. Ainsi le grave manuscrit de Bamberg s’achève sur une note plaisante. Il mêle un écho de la rue aux voix du sanctuaire, un petit tableau de mœurs aux nobles représentations de la foi.

Étude en détail des cent motets, histoire du motet en général, ces deux points en touchent d’autres, que M. Pierre Aubry ne pouvait négliger. Parmi ces questions en quelque sorte contiguës, l’une des principales est celle de la rythmique mesurée au moyen âge. La théorie, et même la pratique du rythme fut en ce temps-là d’une sévérité, d’une étroitesse que nous avons peine à concevoir aujourd’hui. La doctrine des mensuralistes, enfermant le musicien dans un réseau de règles et de formules, l’y avait à peu près étouffé. Pour lui, toute liberté de penser rythmiquement était, ou peu s’en faut, supprimée. Ses droits ou ses facultés à cet égard se réduisaient à ceci : « La théorie mensuraliste a offert à l’inspiration de l’artiste la possibilité de choisir entre six moules rythmiques (modes ou maneries) en laissant simplement au musicien le droit de dilater ou de contracter ces formules suivant les besoins de sa composition. « Telle est, » — au moins en abrégé, — « l’idée du moyen âge. Les musiciens du temps de saint Louis ont cru

  1. Voir le bel ouvrage de M. l’abbé Villetard : l’Office de Pierre de Corbeil (Office de la Circoncision), improprement appelé « Office des Fous. » Texte et chant publiés d’après le manuscrit de Sens (XIIIe siècle) avec introduction et notes ; 1 vol. in-8 ; Paris, chez Alph. Picard et fils 1907.