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clichage, tirage, sont pour le livre la condition même de sa publication, comme la pierre ou le marbre pour l’exécution de la statue. Mais ces frais n’ont rien ajouté à la pensée de l’écrivain, ils ne l’ont point parée ; tandis que les frais du théâtre ont amplifié, accru la pensée de l’auteur dramatique. Pour le commun des hommes, la pièce jouée par des acteurs, dans un décor, avec des costumes, gagne quelque chose sur la pièce simplement imprimée. Celle-ci, à vrai dire, ne rapporte presque rien. Beaucoup de gens paient 20 francs pour voir représenter une pièce, qui ne paieraient pas un franc pour la lire.

L’auteur dramatique profite, en tant qu’ouvrier intellectuel, de tout ce qui dans le théâtre n’est pas d’une haute intellectualité : du besoin de divertissement et de toute la dépense d’agencement matériel faite pour satisfaire ce besoin. Ce que l’on paie en lui, c’est le plaisir qu’il donne, bien plus que le mérite qu’il a ; à preuve le succès de nombreuses pièces qui n’ont pas beaucoup de mérite, mais qui donnent beaucoup de gros plaisir, du plaisir qu’il faut, et même de mille exhibitions qui n’ont pas démérite du tout, mais dont les amateurs se régalent. Ce n’est donc pas surtout avec son talent littéraire que l’auteur dramatique « fait de l’argent. » Sa pure valeur intellectuelle ne le nourrirait pas mieux qu’un philosophe.

Il serait vraiment saugrenu de se demander si cela est « juste » ou « injuste. » A qui estimerait le gain des écrivains de théâtre disproportionné avec celui de leurs confrères, il suffit de montrer que, dans le sein même de cette catégorie privilégiée, le succès pécuniaire ne correspond nullement à la portée de l’œuvre, laquelle peut être très grande, sans fournir un nombre de représentations fructueuses égal à celui d’un mélodrame, d’une farce ou d’une féerie qui réussissent. L’auteur, à son tour, quelque favorisé d’argent qu’il puisse être, ne l’est point autant que l’acteur fameux. Entre les artistes encore, suivant qu’ils parlent ou qu’ils chantent, la hiérarchie du salaire crée une démarcation et, parmi les chanteurs des deux sexes, le registre de leur voix vaut aux sopranos et aux ténors des cachets inconnus aux contraltos et aux basses.

Le profit des dramaturges contemporains tient à des causes simplement économiques : l’acteur a gagné bien avant l’auteur. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le théâtre vivait en renouvelant souvent les pièces pour le même public, faute de pouvoir