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« N’y en a-t-il pas parmi eux qui sont traités plus mal que des animaux, qui sont laissés dans l’abjecte pourriture jusqu’à ce qu’ils meurent enlevés par quelque infection généralisée ?… » Jamais, dis-je, ces fonctionnaires ne se posaient de pareilles questions et ils continuaient à adresser très régulièrement leurs rapports fastidieux et inutiles à leurs chefs hiérarchiques…

Or, les séquestrations arbitraires et illégales étaient extrêmement faciles et fréquentes à cette époque, et cela malgré l’article constitutionnel qui défendait de mettre qui que ce soit « en chartre privée. » Rien n’était plus commode que de confisquer aux gêneurs de leur famille leur liberté et leur fortune. Les témoignages de cette situation existent nombreux et authentiques. Je ne citerai que celui du professeur Foderé qui enseignait vers 1817 la médecine légale et la police médicale à la Faculté de médecine de Strasbourg[1]. Chargé en 1813, par l’autorité, de visiter l’hôpital des fous de la ville méridionale de D…. il y fit la découverte de plusieurs « détentions illégales… » Il y trouva notamment un fermier dont le voisin convoitait la propriété et qui avait toujours joui de son bon sens. Ce pensionnaire avait été enfermé un jour où, échauffé par le soleil et les travaux de la moisson, il avait bu plus que de raison et avait divagué, sans doute comme un bon ivrogne. Depuis des mois, la séquestration durait. Foderé obtint des magistrats que la liberté fût rendue à ce paysan. Un autre pensionnaire injustement interné, était un jeune soldat manchot, arrivé des montagnes du Dauphiné. Peu habitué aux vins du Midi, il leur avait fait, paraît-il, trop d’honneur en débarquant à D… Sa qualité de manchot ne disant rien qui vaille à l’administration militaire, celle-ci profita de son état d’ivresse pour le faire déclarer fou. Il fut reçu en cette qualité à l’asile d’aliénés, où, heureusement pour lui, il put faire entendre ses plaintes à Foderé… Mis en liberté, il donna ultérieurement toutes les preuves de sa parfaite lucidité.

Trois autres soldats étaient à l’asile de D… depuis cinq à six ans. Foderé trouva l’un couché sur un peu de paille. Il était vieux, infirme et couvert de vermine. L’inspecteur médical le fit nettoyer et nourrir. Puis il lui fit prendre, pendant plusieurs jours consécutifs, « du quinquina dans du vin. »

  1. F. E. Foderé, Traité du délire, Paris, 1817.