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plus tard principe de toutes les audaces. L’art gothique naissait, et les sculpteurs, cessant de reproduire l’éternelle feuille d’acanthe, s’essayaient à copier les modestes plantes des campagnes françaises, la feuille d’arum, la fougère, le nénuphar. Pour la première fois peut-être depuis l’antiquité, un artiste osait regarder la nature. C’était là toute une révolution qui allait modifier le caractère de l’art occidental et clore une longue période de son histoire.

Ainsi, au fond de l’art du moyen âge comme à la base de toute la culture européenne, on trouve l’influence de l’hellénisme modifié par les traditions orientales. C’est à ce double courant que l’art musulman, l’art byzantin, l’art occidental doivent leur existence : c’est dans les villes et les palais hellénistiques, en Asie Mineure, en Syrie, en Egypte, qu’il faut aller chercher la source de l’iconographie chrétienne et de l’art du moyen âge. Un doute peut cependant subsister sur la valeur des services que l’Orient rendit ainsi à l’Europe. On sera disposé peut-être à regretter la longueur de cette période d’asservissement et à déplorer que la richesse même des motifs orientaux ait découragé si longtemps l’initiative des artistes. Mais si l’on réfléchit à l’état effroyable qui succéda en Europe à la paix romaine, si l’on pense aux périodes de barbarie profonde que traversa l’Occident au VIIe ou au Xe siècle, on comprend alors combien fut bienfaisante la conservation de ces modèles échappés à la destruction totale. Un certain nombre de bijoux barbares ou de chapiteaux grossièrement sculptés sont là pour nous attester que, lorsque les artistes occidentaux n’étaient pas soutenus par leurs modèles hellénistiques, ils ne tardaient pas à retomber au niveau de leurs ancêtres de l’époque de la Tène.

L’art hellénistique propagé en Occident par les Syriens a sauvé les plus belles créations de l’antique Orient et de la Grèce. C’est à son contact que s’est faite l’éducation des Occidentaux ; c’est en pénétrant ses deux aspects, naturaliste et décoratif, qu’ils ont repris goût à l’étude de l’homme, tout en gardant un sens très vif de l’ornement ; c’est en arrivant à le comprendre, après l’avoir d’abord imité, qu’ils ont fini par se dégager de leur modèle pour créer à leur tour et lutter soit avec la nature, soit avec l’antique. La Renaissance et l’art moderne sont sortis de cette évolution.


LOUIS BREHIER.