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le décor des lignes mêmes de l’architecture : ainsi naquirent des écoles de sculpture et de peinture indigènes.

Ces premiers rénovateurs avaient d’ailleurs une pauvreté d’imagination surprenante. Tous les motifs les plus étranges leur paraissaient bons à imiter : ivoires coptes, étoffes persanes, sarcophages gallo-romains, tous les monumens, toutes les écoles contribuèrent à orner les chapiteaux des églises romanes ; les tympans de l’ancienne cathédrale de Bayeux offrent même en plein XIIe siècle une représentation d’une vérité surprenante du lion et du dragon chinois. De l’éducation qu’ils tenaient de l’art oriental ces artistes gardèrent d’ailleurs un sens réel et très délicat du décor. Lorsqu’on examine telle œuvre du Xe siècle, les ivoires de Saint-Gall attribués au moine Tuotilo par exemple, on est surpris du contraste qui existe entre la raideur ou les gestes gauches des personnages et la délicatesse finie des ornemens.

Ainsi les conditions mêmes dans lesquelles se trouva l’Occident affranchirent en quelque sorte les artistes de la tradition pesante qui se maintenait en Orient. A partir du XIIe siècle, les traces d’initiative et les innovations se multiplient. A des plans d’origine orientale, tels que celui de la basilique à coupole, on adapta des procédés de construction indigènes d’une antiquité reculée. Avant sa restauration au XIXe siècle, la coupole de Saint-Front de Périgueux se composait d’assises en encorbellement analogues à celles des coupoles mycéniennes ou irlandaises et, comme l’a montré M. Bertaux, ce mode de construction se retrouve dans certaines églises à coupoles de l’Italie méridionale. De même des techniques d’origine orientale étaient simplifiées dans les ateliers monastiques ; on a des raisons de croire que l’émail champlevé de Limoges est né d’une modification ingénieuse apportée au travail de l’émaillerie cloisonnée. De plus en plus les monumens s’adaptèrent aux conditions et aux besoins de la région où ils étaient élevés. Les églises du Midi furent couvertes de voûtes puissantes et éclairées seulement par les fenêtres des bas-côtés. Dans le Nord au contraire, où l’on voulut avoir des églises voûtées et lumineuses en même temps, on inventa le procédé de la croisée d’ogive, véritable cintrage permanent, d’abord invention de quelque architecte timide et