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petites gazettes hebdomadaires qui se publient dans les chefs-lieux de moindre importance, les illustrés, les magazines, dont quelques-uns passent 400 000 exemplaires, et la foule des journaux spécialistes, le total des feuilles imprimées que vous additionnerez ainsi dépassera quelque 600 millions de volumes de 360 pages, 20 ou 25 fois plus que le total des bouquins sortis de chez tous les éditeurs.

Du moins au point de vue de la quantité des lignes et des lettres, de la « justification. » Quant à la qualité du texte, je crois bien que l’homme qui absorberait 100 volumes in-18 aurait un peu plus d’air dans l’esprit que celui qui, d’un bout à l’autre de l’année, ne lit que de la polémique, des feuilletons ou des faits divers.

Il existe une « Société des gens de lettres » composée de 1 500 membres. Combien, sur ces 1 500, vivent (ou pourraient vivre exclusivement de leur plume ? Une centaine environ, à l’estime des personnes les plus compétentes. Bien entendu que ces cent auteurs ont autre chose que leur part dans la somme de 500 000 francs distribuée annuellement par la Société à ses adhérens et provenant des droits de reproduction de leurs livres ou de leurs articles. Le plus grand nombre des intéressés touchent là-dessus des sommes inférieures à 100 francs, quelques-uns ne reçoivent que des centimes et un petit groupe de romanciers féconds dépassent 10 000 francs par an.

Les seuls départemens fructueux dans le royaume des lettres sont en effet le roman et le théâtre. La place que tiennent dans l’attention publique ces deux formes les plus « divertissantes » de la pensée écrite, place évidemment supérieure à celle qu’ils occupent dans la vie intellectuelle d’une nation, vient de ce que la majorité des citoyens, absorbée par le travail ou par les affaires, ne demande à la littérature rien de plus qu’un divertissement. Le romancier, l’auteur dramatique, sont seuls dans la corporation à recueillir, par leurs émolumens accrus, les fruits du développement moderne de l’instruction et de l’aisance, en vertu d’un phénomène économique qui tient au genre de leurs travaux et où leur mérite n’a rien à voir.

Ils les ont recueillis dès le dernier tiers du XIXe siècle. On a maintes fois cité les prix exigés des éditeurs par Victor Hugo. Les œuvres que le grand poète a chèrement vendues sont ses