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représentent pas deux choses bien différentes, n’arrivent pas à comprendre pourquoi notre méthode est ici plus douce et là si rigoureuse. Les Algériens musulmans ne voient pas sans amertume le meilleur sort réservé aux Tunisiens. Ils se disent que nous avons deux poids et deux mesures, et cette inégalité n’est pas pour produire sur eux la meilleure impression.

Quelle logique y aurait-il à traiter nos populations musulmanes de Tunisie, du Soudan et de l’Afrique occidentale avec douceur et à nous départir de cette manière d’agir vis-à-vis des Algériens seuls ? Et qui ne comprend qu’un mode d’administration antipathique à l’indigène d’Algérie pourrait avoir une répercussion sur la totalité des habitans de ces vastes régions et rendrait notre domination, en même temps que très onéreuse à nos finances, infiniment précaire en Afrique ? Et combien la tâche que nous avons assumée de contribuer à inaugurer une ère nouvelle de pacification dans l’Empire marocain deviendrait plus compliquée ! Dans ce pays où, plus que nulle part ailleurs, il faut compter avec les confréries religieuses, les marabouts, les muftis, où tous, collectivités ou individus, peuvent devenir des instrumens politiques, et peuvent être, suivant la façon dont on les traite, des instrumens ou très utiles ou très dangereux, à quel résultat désastreux aboutirions-nous, si nous pratiquions une politique de compression en Algérie ? Ces populations peu dociles, en voyant la manière dont nous nous comportons vis-à-vis de leurs coreligionnaires algériens, seraient poussées à devenir nos ennemis, au lieu d’être nos auxiliaires. N’est-il pas plus dans l’ordre naturel des choses d’adopter une ligne de conduite uniformément bienveillante vis-à-vis de toutes nos populations musulmanes ? Et n’est-ce pas le meilleur moyen d’assurer notre sécurité et celui de la permanence incontestée de la domination française en Afrique ? Dans ces conditions, accrue à la faveur de la paix française, la population indigène ne pourra « qu’évoluer à notre contact dans sa propre civilisation, » suivant l’expression de M. Waldeck-Rousseau ; et de sujets vaincus et résignés, nous aurons fait des associés satisfaits, confians, et dont les progrès seront à notre bénéfice moral et matériel.


ROUIRE