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II

Le nombre des gens qui veulent se distraire étant infiniment plus grand que celui des gens qui veulent s’instruire, il n’y a rien d’étonnant à ce que les journaux aient conquis depuis cinquante ans plus de lecteurs que les livres, ni à ce que les journaux eux-mêmes, à mesure qu’ils atteignaient par leur bon marché des couches plus vastes, aient substitué de plus en plus l’amusement aux idées. De sorte que les écrivains n’ont pas crû en prix à proportion du développement des imprimés et des gros tirages du journal : la prose que les grands quotidiens paient le plus cher étant celle des télégrammes, qui profitent surtout à l’administration des postes. Pour remplir leurs colonnes, il suffisait d’une denrée littéraire aisée à produire, par suite très offerte et très peu payée en raison de son abondance. Si bien que l’homme de lettres qui prétend vivre des journaux, qui, à cette fin, fauche sa pensée en herbe et livre son âme à des cultures sans valeur, fournissant une grosse récolte de « copie, » doit renoncer à affiner sa langue qui se relâche. C’est un nouveau métier libéral, plus rude et moins doré que beaucoup d’autres, pour la majorité de ceux qui l’exercent.

Cependant les journaux, sous leur masse énorme, écrasent les livres. Ils offrent à la population française une somme de lecture vingt-cinq fois plus grande que tous les volumes réunis. De ces volumes, il en paraît annuellement 11 000, dont le tirage moyen ne dépasse pas 2 500 ; soit tout au plus 27 millions d’exemplaires, représentant chacun à peu près 350 pages du format in-18 le plus courant. Or la matière d’un numéro de journal ordinaire équivaut à 100 pages de ce format ; soit, en 365 jours, 36 500 pages ou 100 volumes de 365 pages chacun.

Par conséquent, tel journal, qui tire à plus d’un million de numéros, correspond à plus de 100 millions de volumes, c’est-à-dire qu’à lui tout seul ce périodique distribue une quantité de lecture quatre fois supérieure à celle de tous les livres publiés dans l’année. A côté de ce colosse de la presse, quatre ou cinq autres organes atteignent ensemble deux millions de numéros chaque jour, soit 200 millions de volumes par an. Joignez-y les quotidiens politiques de Paris et de province, le millier de