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l’égard des infidèles maîtres du pays, et de leurs manifestations religieuses, voilà ce qui caractérise sa manière de voir au point de vue religieux. L’esprit de conquête, de domination et de propagande de l’Islam n’existe plus chez eux. A peine en conservent-ils un lointain et vague souvenir. C’est à tort qu’on attribue la résistance des indigènes au fanatisme et à la haine du chrétien. » Nous n’avons pas dit autre chose, quand nous avons attribué la persistance et l’âpreté des luttes soutenues par les indigènes contre nous, non à leur fanatisme, mais à la spoliation de la terre dont ils furent victimes. M. Mercier explique ensuite que l’indigène n’est pas immuable, que le paysan kabyle d’aujourd’hui n’est pas semblable au compagnon du Prophète d’il y a quatorze siècles, que les marabouts eux-mêmes ne sont pas invariablement des artisans de révolte comme on les représente, que ce sont au contraire des hommes qui se consacrent plus spécialement à la vie religieuse et qui, enrichis par les aumônes et étant propriétaires, n’ont pour la plupart aucun intérêt au désordre. Par la vénération qu’ils inspirent aux masses ; ces derniers constituent même une force morale qui peut être utilisée par les maîtres du pays. Les Turcs se les attachaient par des ménagemens et il est de notre intérêt de faire de même.

Les confréries religieuses ne seraient pas non plus les terribles associations secrètes que l’on nous a représentées. « Rapprochant les statuts des Khouan de ceux de sociétés célèbres, trompés par des récits de voyageurs ou des appréciations d’écrivains pleins d’imagination, nous en avons fait, dit M. Mercier, un monstre peu conforme à la réalité. » Et il ajoute que les confréries sont nées du besoin de pratiquer le culte en commun ; un musulman en préfère une aux autres comme un chrétien se fait affilier à une confrérie parce qu’il a plus de confiance dans le vocable sous lequel elle est érigée. Mais là encore il y aurait si peu de fanatisme que lorsque les membres d’une confrérie ont un différend entre eux, ils prennent pour arbitre la plupart du temps l’autorité française.

Ce mouvement de transformation chez les musulmans algériens est donc réel ; et, étant donné que l’extension de la civilisation européenne qui l’a provoqué se poursuit avec une rapidité que les faits attestent et que les différences qui existent entre les populations indigènes et nous ne sont pas irréductibles au point de les empêcher de s’élever, dans une certaine mesure,