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Pour que les musulmans reprennent leur supériorité intellectuelle des premiers temps et deviennent un des élémens vivans de la civilisation moderne, il leur faut revenir aux enseignemens du Prophète ; et si les commentateurs ont tiré anciennement du Coran les principes les plus étroits et les plus fanatiques, les auteurs de l’Esprit libéral du Coran en extraient à leur tour des règles de conduite qui feraient honneur aux pays les plus éclairés. Avec force citations, ils démontrent que Mahomet n’a prescrit ni le voile ni la réclusion des femmes, qu’il a recommandé la tolérance, qu’il a enseigné que les Juifs et les chrétiens peuvent faire leur salut dans tour religion, comme les musulmans dans la leur, qu’il a permis le mariage entre musulmans et chrétiennes et qu’il a fait de l’instruction une obligation pour les croyans. Aucun des obstacles qui ont empêché autrefois les musulmans de se tenir en contact avec l’Europe et de s’associer à ses travaux scientifiques n’a donc de fondement dans leur religion.

Et ce qui tendrait à prouver le bien-fondé de cette opinion, c’est que, parallèlement à cette évolution de la pensée dans l’élite intellectuelle, une transformation des pratiques religieuses s’opère en même temps dans la masse. Sans doute, cette dernière reste, elle aussi, fidèle aux principes essentiels d’une religion qui est la base de son état social, mais certains indices permettent de croire que le côté extérieur et rituel est de moins en moins observé et que l’influence des chefs religieux décroît. Ces chefs qui vivent de quêtes publiques, voyant le produit de ces quêtes sans cesse diminuer, demandent aujourd’hui au commerce, à l’industrie, à l’agriculture, aux fonctions administratives ce que les adeptes ne leur fournissent plus. Au dire d’un écrivain indigène algérien, Ismaël Hamet, qui a publié un livre intitulé les Musulmans du Nord de l’Afrique, qui est le résultat d’une longue enquête dans les trois départemens de la colonie, la population musulmane serait devenue une société laïque et les descendans de ces anciens maîtres spirituels et politiques n’exerceraient plus sur elle qu’une influence éloignée. La majeure partie des indigènes ne prierait jamais. En fait, les préventions contre le costume européen diminuent, et des indigènes le portent sans offusquer personne. L’obligation de faire la police religieuse est presque oubliée de tous ceux qui mangent et boivent publiquement en temps de jeûne ne sont plus hués ni maltraités