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Ce n’est pas la différence de langue. Le fond de la population indigène est d’origine berbère. Or, les Berbères ont montré à travers l’histoire une aptitude particulière à apprendre les langues. Ils ont parlé punique avec les Carthaginois, latin avec les Romains, arabe avec les Arabes. Rien ne s’oppose à ce qu’ils apprennent sous notre domination le français. Déjà ceux qui peuvent s’instruire ont compris que la meilleure voie pour cela est d’adopter la lecture des journaux et des revues rédigés en français. L’enseignement du français a pris parmi eux le pas sur celui de l’arabe.

Serait-ce l’organisation sociale qui imposerait aux indigènes un genre de vie incompatible avec la vie européenne ? Mais nous avons vu que les tribus elles-mêmes se disloquent et se désagrègent, que la divisibilité des biens et le régime individuel introduits par l’administration française ont rompu les cadres de la société musulmane ; que la vieille aristocratie qui a essayé de conserver l’ancien genre de vie disparaît, ruinée, et qu’elle est remplacée par une aristocratie d’argent qui doit son élévation à son adoption des méthodes européennes. L’idéal d’autrefois, savoir manier un cheval et un fusil, n’a plus de sens. Les indigènes s’aperçoivent que parler le français et être instruit à l’européenne sont les véritables armes pour triompher maintenant dans la lutte pour l’existence, et se détachent de la collectivité indigène, qui ne leur sert de rien, pour se mettre sous la tutelle européenne, qui peut beaucoup pour eux.

Et ce n’est point non plus la religion qui empêchera ce mouvement. Nous savons bien que la société musulmane présente le spectacle d’une civilisation où le domaine spirituel et le domaine temporel sont restés confondus. La vie civile et la vie religieuse s’y ordonnent d’après les mêmes principes. La morale, le droit public et privé s’y déduisent d’une source unique, à savoir les enseignemens du Prophète fixés une fois pour toutes dans la collection des textes sacrés que constituent, d’une part, le Coran et, d’autre part, la Sonna qui est le recueil des traditions transmises par les contemporains de Mahomet. Mais, parce qu’il dépend si étroitement de deux livres, le monde musulman n’est point figé comme on se l’imagine communément. Si les textes restent les mêmes, les interprétations qu’on en tire se modifient avec le temps et, comme toutes les choses humaines, l’Islam évolue. L’évolution matérielle que nous avons signalée chez les