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y a trente ans. Et cela seul indique bien que la civilisation déteint sur le musulman. Commencé avec l’ouverture des nouvelles écoles, ce mouvement est dû à l’orientation très heureuse donnée à l’enseignement des futurs maîtres d’écoles indigènes. Nous ne sommes plus à l’époque où, entraînés par la perspective de l’assimilation, nous donnions aux indigènes une instruction purement livresque et où nous voulions les forcer à connaître les subtilités de la grammaire ou les démêlés de Frédégonde et de Brunehaut. L’enseignement est devenu pratique et professionnel. Des manuels où sont condensés par le texte et l’illustration les notions élémentaires dont la mise en pratique régénérerait rapidement l’agriculture arabe sont mis entre les mains des élèves. Sous une forme familière accessible aux intelligences encore incultes, la substance des lois agronomiques y est exposée. On leur apprend la vie de la plante, la vie de l’animal domestique ; on leur montre comment des pratiques raisonnées doivent se substituer à des pratiques mauvaises, insuffisantes, ruineuses. Par une innovation originale et heureuse, on rattache les conseils de l’agronomie moderne à ceux que donnaient, dès le XIIe siècle, les savans de l’Islam et que ne renierait pas le meilleur élève de nos institutions agronomiques. Tel ce dicton kabyle : « Un tas de fumier bien garni vaut mieux qu’un panier plein de grains, » ou cet autre : « Un champ est comme un homme : s’il se tient propre, il est bien portant, mais s’il vit dans l’ordure, il est toujours malade. » Le résultat de cet enseignement pratique se manifeste au-delà des murs de la classe ; on a remarqué que les enfans sont plus propres et plus polis, leur caractère a plus de franchise, de probité et de loyauté. Peu à peu se préparent dans les tribus des foyers d’où partent les bonnes paroles et les exemples fructueux. Les suggestions des maîtres d’école déterminent les agriculteurs indigènes à laisser de côté leurs outils rudimentaires et leurs routines ancestrales pour demander au sol une meilleure rémunération de leur travail. Les habitations présentent un peu plus de confortable ; les jardins sont travaillés avec plus de goût ; les arbres sont mieux soignés. Ils sont taillés chaque année et beaucoup de sauvageons sont greffés. De nouveaux produits entrent dans l’alimentation indigène.

Ce mouvement qui va se généralisant, qu’est-ce qui pourrait l’enrayer désormais ?