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français sur la 15e édition italienne en 1777, le nombre des éditions depuis 1811 varie chaque année de 5 à 10 ; il n’a jamais été moindre de 5 ; ce livre occupe 80 colonnes du catalogue de la Bibliothèque Nationale.

Le plus curieux, c’est qu’il puisse exister, en divers genres, des livres à tirages formidables qui demeurent parfaitement inconnus ; leur clientèle anonyme a été capable de les multiplier, mais non de les illustrer. Il n’y a pas eu de démocratisation pour la littérature ni pour la science. Ces aristocraties, ouvertes à tous, restent closes en fait pour le plus grand nombre, parce qu’il n’y a point de nivellement des intelligences. La diffusion de l’instruction semble devoir être sans résultat à cet égard ; elle n’augmente pas sensiblement le nombre des gens capables de goûter les chefs-d’œuvre, pas plus qu’elle n’augmente le nombre des gens qui les font.

Bien que la richesse du temps présent soit due tout entière à la science, la science ne donne pas la richesse au savant. Ses leçons restent médiocrement salariées par l’Etat comme aux temps passés, ses livres sont d’un produit presque nul. Un ouvrage capital de mathématiques ou de physique, signé du nom le plus célèbre, se tire à 2 000 exemplaires vendus. 15 francs et productifs d’un droit d’auteur de 3 francs. C’est une somme de 6 000 francs que gagnera en fin de compte une de nos gloires nationales.

Chacun admet qu’une nouvelle équation intégrée se puisse traduire un jour par un accroissement de bien-être général ; nul n’ignore que la géométrie, en étudiant les surfaces coniques, a créé l’astronomie qui a engendré les communications maritimes, en permettant au navigateur de se diriger sur l’Océan ; mais, comme le livre de géométrie ou d’algèbre ne répond à aucun besoin immédiat, il reste sans acheteurs. On reproche au savant français de vendre en quelque sorte sa personne, lorsqu’il sollicite des places officielles et qu’il perd son temps à faire passer des examens, tandis qu’il répugne par un faux point d’honneur à vendre sa science, comme font les Américains ou les Allemands. Mais tout aperçu nouveau ne se formule pas d’abord en un brevet, sur cette route où les inventions s’appellent et s’enchaînent : nul ne prévoyait qu’un mouvement de transmission, trouvé par la bicyclette, servirait aux automobiles qui créeraient le moteur à grande puissance, lequel à son tour