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refroidissemens sensibles. Il l’aimait parce qu’il l’aimait ; elle l’aimait un peu de se sentir aimée de lui. Elle devint maladive. Ce ne lui fut, pour une âme comme celle de Fromentin, qu’un charme de plus. Brusquement, dans les derniers jours de juin 1844, Fromentin qui était à Paris, apprit que Madeleine était à Paris elle-même pour y subir une opération redoutable, puis, qu’elle l’a subie et qu’elle se meurt. Il court à elle. Une amie d’enfance consent à l’introduire jusqu’au seuil de la chambre où s’éteignait la malade. Il la contemple un instant dans la pénombre. Le mari est là. Ils se serrent la main en silence. Fromentin sort ; il entre dans une église voisine, se jette à genoux et prie longtemps. Quelques jours après, il suivait son convoi. Elle avait vingt-sept ans, lui vingt-quatre.

Fromentin songea d’abord à se retirer dans un monastère ; puis il alla demander à la nature et à la solitude l’apaisement, ou plutôt la liberté de rêver d’elle, sans que rien l’en détournât : « Meudon, samedi soir. —… Puis le souvenir incessant de ma pauvre amie s’est emparé de moi pour ne plus me quitter. En quelques secondes, j’ai remonté le cours des sept années passées ensemble. Enfin je l’ai revue morte. En ce moment, l’horloge du château sonnait huit heures et demie ! J’ai tressailli. J’ai regardé Paris qui s’étendait à perte de vue dans la bruine et je me suis dit : Combien de gens sont maintenant à genoux auprès du lit mortuaire d’un être chéri… »

« Meudon, jeudi soir, 18 juillet. — Je pense à toi qui dors là-bas, sous l’herbe mouillée du cimetière, pauvre tête si belle, aux yeux si doux, au teint si blanc, aux cheveux si noirs. — Je pense à toi qui subsistes là-haut dans l’inconnu dévoilé, chère âme, âme heureuse, âme satisfaite, âme apaisée… Amie, ma divine et sainte amie, je veux, je vais écrire notre histoire commune, depuis le premier jour jusqu’au dernier. Et chaque fois qu’un souvenir effacé luira subitement dans ma mémoire, chaque fois qu’un mot plus tendre ou plus ému jaillira de mon cœur, ce seront autant de marques pour moi que tu m’entends et que tu m’assistes. »

Madeleine avait été enterrée au cimetière de Saint-Maurice (près La Rochelle), à quelque pus de la maison de campagne des parens de Fromentin, dans ce pays où il l’avait connue et où il l’avait tant aimée. Il fut privé de visiter sa tombe aussi souvent qu’il l’aurait désiré : « Mes pieuses visites ? mon ami, j’en fais