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mérite et qui trahissent le peintre dormant encore, s’éveillant déjà, dans le versificateur :


Souvent, par un beau jour, quelque nue incertaine,
Pâle et triste, égarée au fond du ciel serein,
Passe sur votre tête et son aile qui traîne
Vous jette une grande ombre et tache le chemin.
Et sur le sol ombré, tandis qu’il tombe à peine
Un rayon à travers le nuage d’airain,
Un chaud soleil jaunit autour de vous la plaine ;
Et les villages blancs vous rient dans le lointain.


On a, par ailleurs, des vers de sa vingtième année qui le peignent tel qu’il était en sa quinzième :


Je suis par habitude un peu triste et sauvage.
Mon cœur a si longtemps vécu dans le veuvage ;
………
J’avais si peu connu dans mes temps de collège
………
Ce bonheur de penser, d’aimer, de vivre à deux,
De s’en aller courir ensemble à l’aventure
N’importe où, page à page épelant la nature,
Par les bois, par les prés en fleurs, par les sentiers
Semés d’épine blanche ou bordés d’églantiers.
Oui, j’ai connu si tard, écolier taciturne,
Ce bonheur, que, réduit à fermer comme une urne
La coupe où ma jeunesse écumait, j’amassai
L’amertume et l’ennui comme un sable glacé…
Jusqu’auprès de ma mère on m’a vu bien souvent
Dans un coin du foyer, l’oreille au bruit du vent,
Suivre je ne sais quel aparté solitaire,
Ecouter tout un soir, impassible ; et me taire.
……..


Détail très caractéristique, il aime tout particulièrement, presque exclusivement l’automne. Oh sait que chaque homme, comme aussi chaque femme, a sa saison. « Quelle était sa saison ? » est une des questions que l’on doit se poser à propos de chaque artiste, et je m’étonne presque que Sainte-Beuve ne l’ait pas mise au nombre des cinq ou six enquêtes qu’il dit qu’il faut faire préliminairement sur tout personnage qu’on étudie. La saison de Hugo est l’été ; la saison de Musset est l’hiver ; la saison de Lamartine est l’automne. Elle est aussi celle de Fromentin,