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par le Roi qui constituent le titre officiel du bénéficiaire et légitiment sa paternité sur l’enfant de son cerveau. Certains de ces privilèges faisaient à l’auteur bonne mesure et, par exemple, celui du Polexandre de Gomberville en 1637 défendait aussi bien d’extraire de ce roman « aucunes pièces ou histoires pour les mettre en vers, en faire des dessins de comédies, tragédies ou poèmes, » que « d’en contrefaire les planches, tailles-douces et frontispices, » à peine de 15 000 francs d’amende[1].

D’autres auteurs obtenaient par avance des « privilèges généraux » pour les livres qu’ils pourraient publier à l’avenir ; mais toujours la propriété dépendait de ce privilège que l’Etat octroyait exclusivement à qui bon lui semblait, du moins pour les œuvres des auteurs défunts. Antiques ou récentes, celles-là étaient comme un bien domanial dont le souverain adjugeait l’exploitation à l’« amé et féal » libraire, muni des lettres scellées à la chancellerie. C’était du privilège, du don gracieux de l’Etat, que le libraire tenait son droit et non de la cession faite par l’auteur.

Par les traités conclus avec son éditeur, l’auteur ne pouvait conférer une propriété que lui-même ne possédait pas ; non plus qu’un écrivain d’aujourd’hui ne pourrait vendre ses ouvrages à titre perpétuel, puisque nos lois actuelles bornent sa propriété à cinquante ans après sa mort. Passé ce délai, sous le régime contemporain, l’œuvre tombe dans le domaine public ; sous l’ancien régime elle demeurait propriété de l’État, s’il jugeait opportun de la revendiquer. Un exemple mémorable, au XVIIIe siècle, mit en conflit les deux systèmes opposés : La Fontaine avait vendu ses œuvres au libraire Barbin et, durant soixante-six ans, les héritiers ou les concessionnaires de Barbin demeurèrent en fait les éditeurs du fabuliste. En 1760, le roi accorda aux petites-filles de La Fontaine le droit exclusif de publication des ouvrages de leur aïeul, « qui, disait-on, leur appartenaient naturellement par hérédité. » Malgré l’opposition du syndic de la librairie, un arrêt du Conseil ordonne l’enregistrement de ces lettres patentes au Parlement qui, lui, au contraire, déboute les demoiselles de La Fontaine et donne raison aux libraires.

Mais de ce cas isolé, où se heurtent deux théories hostiles, on ne saurait conclure ni que les descendans d’un auteur eussent,

  1. Dans cet article, comme dans les précédens, tous les chiffres sont traduits en monnaie actuelle.