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espérant nous faire perdre patience et nous amener à l’acte de violence contre l’Espagne qu’attendait son ami Bismarck. Mais notre résolution de ne pas nous laisser entraîner de ce côté ne fut pas ébranlée, et Gramont, aussi tranquillement que si nous n’avions pas ressenti la pointe de l’aiguillon, télégraphia de nouveau à Mercier : « Malgré la circulaire du maréchal Prim et la communication que vient de me faire M. Olozaga, nous avons trop de confiance dans les sentimens de la nation espagnole pour admettre qu’on persiste à Madrid dans la seule solution qui blesse à la fois nos intérêts et notre dignité. Nous persisterons donc dans notre conduite amicale et continuerons à faire observer, sur la frontière espagnole, la vigilance nécessaire pour en écarter tout ce qui serait de nature à fomenter des troubles dans la péninsule. Nous serons fidèles à nos sympathies jusqu’au dernier moment, nous ne serons certes pas les premiers à rompre des liens qui nous étaient chers et que nous espérions avoir rendus indissolubles. »

Nous n’avions pas plus à espérer du côté de Bismarck représenté par son serviteur Thile. Gramont voulut constater toutefois combien étaient pitoyables les raisons par lesquelles Thile refusait la conversation. Une dépêche à Lesourd indiqua que nous n’étions pas dupes de ses échappatoires : « On ne fera jamais croire à personne qu’un prince prussien puisse accepter la couronne d’Espagne sans y avoir été autorisé par le Roi chef de sa famille. Or, si le Roi l’a autorisé, que devient cette soi-disant ignorance officielle du Cabinet de Berlin, derrière laquelle M. de Thile s’est retranché avec vous ? Le Roi peut, dans le cas présent, ou permettre ou défendre ; s’il n’a pas permis, qu’il défende. Il y a quelques années, dans une circonstance analogue, l’Empereur n’a point hésité. Sa Majesté désavoua hautement et publiquement le prince Murat, posant sa candidature au trône de Naples. Nous regarderions une détermination semblable du roi Guillaume comme un excellent procédé à notre égard, et nous y verrions un puissant gage du désir de la Prusse de resserrer les liens qui nous unissent et d’en assurer la durée <[1]. »

Cette réfutation si calme ne produisit pas plus d’effet que nos raisonnemens à Prim, et nous dûmes nous convaincre qu’il fallait renoncer définitivement à toute négociation, subir la

  1. 7 juillet.