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minorité et le pouvoir était aux mains des modérés ouvertement favorisés par notre ministre Malaret et leur assistance nous paraissait certaine. Nous comptions au surplus que le Roi leur rappellerait le devoir s’ils l’oubliaient. Le parti à prendre était entre l’alliance de l’Autriche et celle de la Russie. La difficulté naissait des rapports de ces deux nations entre elles. Ils continuaient, depuis 1848, à être plus ou moins tendus. Un souvenir de haine vivait au cœur de la Hongrie et l’opposition des intérêts en Orient, qui avait poussé l’Autriche à l’ingratitude lors de la guerre de Crimée, maintenait entre les deux gouvernemens des méfiances réciproques. La Russie avait accueilli sans aucun empressement les ouvertures de Beust tendant à la révision du traité de Paris. Depuis, elle s’était montrée inquiète des encouragemens donnés en Gallicie aux Polonais ; Beust avait dû s’en défendre et affirmer qu’il était attentif à n’accorder qu’une autonomie administrative, non la possibilité d’exercer une influence directe et séparée sur l’attitude politique de l’Empire : il ne fallait donc pas songer à s’allier à la fois avec la Russie et l’Autriche ; l’intimité avec l’une impliquait au moins la froideur avec l’autre.

Un rapprochement avec l’Autriche m’inspirait une insurmontable aversion. Ayant vécu jeune en Italie, j’avais gardé contre elle les sentimens de colère qu’elle inspirait alors à tous les patriotes italiens. Je me rappelais sa trahison envers Napoléon Ier, l’impopularité qu’avait value à Louis-Philippe une entente avec elle ; j’étais convaincu que nous n’avions à en attendre que duplicité et félonie. Elle n’avait pas la volonté sérieuse de prendre la revanche de Sadowa ; le parti militaire souffrait de l’humiliation de cette défaite, mais en même temps, il ressentait de la rancune contre Napoléon III, qui l’avait facilitée ; dans les autres classes, on était peu affligé d’une catastrophe à laquelle la nation devait ses libertés publiques. Les Hongrois s’en étaient réjouis, puisque de là datait la reconnaissance de leurs justes droits. Les Slaves, mécontens et absorbés par leurs aspirations nationales, étaient indifférens au prestige de l’Empire et les Allemands ne l’étaient pas à l’accomplissement des destinées germaniques. Le despotisme avait été le seul lien de tant de nationalités juxtaposées plutôt que mêlées : ce lien brisé, la gerbe s’était défaite ; les uns tombaient du côté de l’Allemagne, les autres du côté du Panslavisme ou de la Russie, et la situation de l’empire