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précédentes, l’affaire serait devenue espagnole, et nous aurions été placés entre une résignation impossible et une guerre avec l’Espagne et la Prusse réunies. Personne qui ne s’en rendît compte. Metternich le dit à Gramont : « Si le prince Léopold arrive en Espagne, s’il y est acclamé, c’est à l’Espagne qu’il faudra faire la guerre. »

Ainsi, dans quelque direction que nous nous engagions, nous tombions toujours dans le gouffre. Nous en étions là, perplexes, anxieux, ne sachant à quoi nous résoudre, lorsque tout à coup une lueur traversa mon esprit. Je me rappelai que le 3 mai 1866, à la veille de la guerre entre la Prusse et l’Autriche, Thiers avait dit : « Quelle conduite faut-il donc tenir vis-à-vis de la puissance qui menace la paix de l’Europe ? Je ne vous dis pas de lui faire la guerre. Mais n’y a-t-il aucun autre moyen de lui faire avouer la vérité ? Je vais prendre toutes les formes, depuis la plus dure jusqu’à la plus douce, et il me semble qu’il n’y en a pas une qui ne dût réussir. Je ne conseille pas la plus dure, mais je sais des gouvernemens qui l’auraient employée. Au fond, quand on veut une chose juste, on peut être franc, et, par exemple, qu’est-ce qu’il y aurait de plus juste que de dire à la Prusse : « Vous menacez l’équilibre de l’Europe, vous menacez le repos de tout le monde ; il est connu que c’est vous seule, et point l’Autriche. Eh bien ! nous ne le souffrirons pas ! » Récemment, dans la discussion de juin 1870, il était revenu sur cette idée : « On pouvait épargner ce malheur (Sadowa) à l’Europe, et un mot aurait suffi. » — « Bien ! m’écriai-je, voilà la marche indiquée. Prononçons ce mot que Thiers reproche à l’Empereur de n’avoir pas prononcé pour empêcher la guerre de 1866. Nous ne pouvons pas adopter la forme douce, car pour cela il faudrait causer et on nous le refuse. N’adoptons pas non plus la forme dure ; tenons-nous-en à la forme ferme. Notre cause est juste ; disons sincèrement ce que nous ne permettrons pas. Si nous n’avions devant nous que Bismarck, Prim, Léopold de Hohenzollern, ce mot serait inutile et nous serions nonobstant amenés à la guerre, car il n’est pas supposable qu’aucun des trois compères manque à l’engagement pris envers les autres. Mais, à côté de Bismarck, il y a le Roi qui, d’après nos renseignemens, s’est lancé à contre-cœur dans cette aventure ; il y a, à côté de Prim, Serrano qui nous est sympathique et ne sera pas fâché de jouer un tour à son Maire du palais ; à côté du prince Léopold, il y a