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menaçait trop les intérêts de la France pour que son gouvernement négligeât de chercher, même au prix des plus grands efforts, à obtenir l’abandon de la candidature du prince Léopold Hohenzollern[1]. » En effet, pas un homme politique, pas un militaire qui n’exprimât hautement sa réprobation de l’entreprise prussienne. Le maréchal Vaillant écrit dans son carnet, le 5 juillet : « On apprend que Prim a offert le trône d’Espagne au prince prussien Hohenzollern. Il me semble que c’est la guerre, ou à bien peu près. » Doudan, quittant son ton habituellement goguenard, s’écrie : « Je crois qu’honorablement nous ne pourrions pas supporter cette insolence d’un colonel prussien régnant sur les revers des Pyrénées[2]. » Jules Favre admettait, quoique le point pût être discutable, que la candidature du prince de Hohenzollern à la couronne d’Espagne pouvait être un casus belli[3]. Jules Simon ne concevait pas que cela fût discutable : « La France ne pouvait, sans compromettre sa sécurité et sa dignité, tolérer la candidature du prince Léopold[4]. » Thiers disait « que la France devait considérer cette candidature comme une offense à sa dignité et une entreprise contre ses intérêts[5]. » Gambetta, plus véhément encore, criait que tous les Français devaient se réunir pour une guerre nationale[6].

L’opinion des hommes d’Etat étrangers, à ce moment où les calculs n’arrêtaient pas l’expression sincère des sentimens, se prononça partout comme celle des hommes d’Etat français. « Il était impossible, dit Granville à l’ambassadeur d’Espagne, de ne pas prévoir qu’un pareil choix, fait en secret et annoncé soudainement, causerait une grande irritation en France[7]. » Il n’était pas moins explicite avec son agent à Berlin : « Le strict secret avec lequel les négociations ont été conduites, entre le ministre d’Espagne et le prince qui a été l’objet de son choix, semble inconciliable de la part de l’Espagne avec les sentimens d’amitié et la réciprocité des bons rapports de nation à nation, et a donné, ce que le gouvernement de Sa Majesté ne peut s’empêcher d’admettre, une juste cause d’offense, que, on pourra

  1. Tome VI, p. 128.
  2. Doudan à Piscatory, 10 juillet 1870.
  3. Défense nationale, t. I, p. 25.
  4. Origine et chute du second Empire, p. 159.
  5. Discours du 15 juillet.
  6. Rapport de police.
  7. Granville à Layard, à Madrid, 7 juillet.