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précipice. La remarque est juste : dès notre premier pas dans la négociation, nous étions arrêtés court. A Madrid comme à Berlin, on nous notifiait que l’on n’aurait aucun égard à nos observations. A Madrid, on agissait comme si nous n’avions rien dit ; à Berlin, on nous fermait la porte au nez, et on se moquait de nous. Comment donc ne pas tomber dans le précipice que Bismarck avait creusé devant nous ?


III

Ce qui rendait nos délibérations plus difficiles, c’est que les murs de nos ministères étaient assaillis par une tempête d’indignation qui nous demandait des résolutions extrêmes. L’opinion publique, beaucoup moins maîtresse de ses sentimens que nous l’avions été des nôtres, manifestait une fois de plus le trait saillant de notre caractère relevé par les observateurs de tous les temps : « Les décisions des Gaulois sont subites et imprévues, et ils se décident rapidement à la guerre (mobiliter et celeriter), » a écrit Jules César. « La nature des Français, disait un Milanais au service de la France, Trivulzi, est de s’enflammer subitement. » « Nous sommes une nation volcanique, » écrit Dumouriez.

Le 4 juillet au matin, se produisit une de ces explosions subites, volcaniques, irrésistibles. Les ambassadeurs étrangers, témoins froids et attentifs, l’ont constatée. « Lorsque la nouvelle de l’acceptation par le prince Hohenzollern de la candidature au trône d’Espagne, a écrit Metternich, arriva à Paris, elle y produisit une émotion très soudaine et très vive. On y vit un plan combiné entre le maréchal Prim et la Prusse[1]. » Lyons est plus expressif : « Sans considérer jusqu’à quel point les in té-rôts réels de la France sont en question, le pays a pris la proposition de placer le prince de Hohenzollern sur le trône d’Espagne pour une insulte et un défi de la part de la Prusse. On ne pouvait méconnaître que les sentimens de la nation française rendaient impossible au gouvernement, même s’il le voulait, d’acquiescer à l’installation du prince de Hohenzollern en Espagne[2]. » Taxile Delord dans son Histoire du second Empire, pamphlet plus qu’histoire, dit aussi : « Cette éventualité

  1. A Beust, 15 juillet 1870.
  2. A Granville, 7 juillet.