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entrepris et achevé une tâche aussi vaste. Rien de plus vrai puisque cette tâche a consisté précisément à démolir celle de l’Assemblée constituante. Tous les principes qui ont été proclamés et appliqués en 1789, en opposition à ceux de l’ancien régime, ont été désavoués et violés : c’est ce qu’on appelle aujourd’hui le progrès ! M. Caillaux a voulu pourtant se montrer généreux et équitable envers le régime d’impôt qu’il venait de condamner : il lui a reconnu deux qualités, mais il lui a attribué trois défauts. Quelles sont les deux qualités ? C’est, a dit M. Caillaux, « une remarquable productivité, une productivité mathématique en quelque sorte, qui n’est pas liée — et c’est là son grand vice, — au développement de la richesse publique, mais enfin une productivité réelle. En second lieu, le régime actuel implique le minimum de collaboration entre le fisc et le contribuable. » Cela est court et paraît peu : en réalité cela est beaucoup, et il faut remercier M. Caillaux d’avoir si bien défini les mérites de notre régime fiscal au moment où il lui porte un coup mortel.

Existe-t-il, en effet, pour un régime fiscal, une plus grande qualité que cette productivité mathématique dont parle M. Caillaux sans y insister assez ? Il n’est d’ailleurs pas vrai que la productivité de notre système d’impôts soit indépendante des progrès de la richesse publique, et la preuve en est que le rendement des impôts augmente tous les ans dans un pays dont la population reste stationnaire. Nous serions curieux de savoir à quoi tient cette augmentation, si ce n’est pas à celle de la richesse générale. Mais il est vrai, et c’est un grand bien, que cette progression suit un mouvement modéré. M. Caillaux aimerait-il mieux qu’il y eût des hauts et des bas beaucoup plus accentués, et ne craindrait-il pas que les difficultés avec lesquelles on l’a vu quelquefois aux prises ne devinssent encore plus graves si, aux années faibles, correspondaient des budgets dont le déficit serait encore plus marqué ? La seconde qualité qu’il veut bien reconnaître au régime actuel est à nos yeux la plus précieuse et la plus merveilleuse de toutes : ce régime implique, en effet, comme il l’a dit, le minimum de collaboration entre le fisc et le contribuable. C’est en grande partie pour obtenir ce résultat qu’on a fait la Révolution : qu’en restera-t-il demain, si le projet de M. Caillaux est définitivement voté ? Rien que des ruines. En dépit des protestations contraires de M. le ministre des Finances, son système est celui de la déclaration que des vexations systématiques rendront obligatoire, et qui sera contrôlée par l’inquisition administrative. Quand bien même ce système aurait toutes les qualités qu’il lui attribue, nous le repousserions