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comparable aux célèbres Vies de Mozart et de Sébastien Bach, écrites avant lui par Otto Jahn et Philippe Spitta. Trois gros volumes avaient paru coup sur coup, encombrés d’un prodigieux déballage de documens hétéroclites ; et puis la publication s’était arrêtée, pendant les vingt dernières années de la vie de Thayer, et le bruit avait couru que celui-ci était en train d’oublier jusqu’à l’existence de Beethoven, pour ne plus s’occuper que de solliciter, de recevoir, ou de dépenser les subventions de généreux compatriotes, acharnés à vouloir lui faciliter l’achèvement d’une entreprise qu’il s’obstinait à regarder comme « inachevable. »

Mais si la partie proprement « historique » des trois volumes publiés de son vivant révélait trop ouvertement son incompétence, — nous racontant la vie de Beethoven de la même façon qu’on aurait étalé devant nous l’existence d’un négociant ou d’un bureaucrate, sans jamais tâcher à isoler, parmi la masse des menus faits plus ou moins relatifs au maître, ceux qui concernaient plus directement son rôle d’artiste, — on ne pouvait pourtant contester à cet Anglo-Saxon avisé et pratique une remarquable adresse pour débrouiller les difficultés d’ordre matériel, et, par exemple, pour déterminer les dates d’une foule de lettres ou de billets, d’après leur écriture, le format de leur papier, ou les diverses allusions qui s’y rencontraient. C’est dire que les problèmes suscités par la lettre « à l’immortelle bien-aimée » avaient chance d’être, enfin, soumis à un examen minutieux ; et le fait est que les trois volumes de Thayer ne contenaient peut-être pas de chapitres plus intéressans que ceux que le biographe américain avait consacrés à l’étude de ces problèmes, ou plutôt de toute la désolante histoire de » amours de Beethoven. Plusieurs conclusions s’en dégageaient, dont l’une, la plus nette et la plus formelle, était celle-ci : que la destinataire de la lettre n’était pas, ne pouvait pas avoir été Giulietta Guicciardi !


Un seul argument aurait suffi à le prouver : pendant aucune des trois années où Beethoven avait aimé Giulietta, les circonstances connues de sa vie ne rendaient possible, au début de juillet, le pénible voyage, ni le séjour dans une ville d’eaux, dont nous parle sa lettre. Mais, en plus de cette preuve péremptoire, vingt autres raisons concordaient à démentir l’affirmation de Schindler. Jamais Beethoven n’avait été admis dans l’intimité de Giulietta au degré qu’attestaient les termes de la lettre. Il avait cru, un moment, en être aimé ; mais on a vu que l’idée d’un mariage avec elle, même alors, lui avait paru