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Rappelez-vous les premières pages de Madame Bovary, l’arrivée de Charles Bovary dans le collège normand, la classe, la récitation des leçons, les farces des camarades. C’est à peu près l’image qu’évoque ce collège de province où va se passer l’action des Grands. A qui, d’ailleurs, parmi les Français, n’est-elle pas familière, cette vie de collège ? Ceux d’entre nous qui ne la retrouvent pas dans leurs souvenirs personnels la connaissent surabondamment par l’expérience que d’autres en ont faite autour d’eux. Et chacun sait que les spectacles qui nous sont les plus familiers sont aussi bien ceux qu’il nous plaît davantage de retrouver au théâtre.

D’un crayon très sûr, les auteurs ont su dessiner des silhouettes de potaches tout à fait ressemblantes. Voici le « fort en thème, » Jean Brassier, destiné par un décret nominatif de la Providence à entrer à l’École normale. Il sera professeur, le moins longtemps possible, et, dès sa première classe, aspirera à jeter la toge aux orties. « Le temps n’est plus où les universitaires aimaient leur métier… Aujourd’hui on entre dans le professorat, en attendant mieux. On devient ensuite journaliste, critique dramatique, conférencier, écrivain ou député. » Et voici le cancre. Il est superbement incarné par le nommé Surot : « Sous prétexte que je suis mauvais élève, le dernier, c’est sur moi que l’on se venge ; c’est moi qui encaisse toutes les punitions… Ce n’est pas de ma faute si je suis un cancre, je suis né comme ça : il n’y a pas à se débattre. » Le drame résultera de l’opposition de ces deux caractères. Un vol a été commis par Surot, qui en laisse accuser Brassier. Celui-ci ne peut se disculper, car il faudrait trahir Madame la principale pour qui il a les sentimens que Fantasio avait pour Jacqueline. Mais Surot, au dernier moment, se dénoncera et deviendra le cancre évangélique : soyez tranquille !

Cette intrigue en vaut une autre. Mais l’intérêt de l’œuvre n’est pas là. Il est dans la peinture de ce petit monde où les auteurs ont su voir une image déjà fidèle du monde de demain. « Tels vous les voyez ici, tels ils seront dans la vie ; et vous pouvez, par avance, leur assigner leur place : il y a ceux qui commanderont, ceux qui obéiront, ceux que conduira un idéal et ceux qui ne suivront que leur instinct et leur bon plaisir, et enfin ceux qui n’auront pas d’histoire : les inutiles. » MM. Pierre Veber et Serge Basset ont fait preuve d’observation juste et d’un art souvent délicat.


RENE DOUMIC