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celle qui mène à la Volupté, celle qui mène à la Vertu. « Il choisit la Vertu qui lui parut plus belle, » comme a dit Musset. C’est ici un conte de morale en action à l’usage des jeunes gens qui, au sortir des mains du pédagogue, allaient entrer dans la vie. On voulait leur faire comprendre que l’instant est décisif, qu’ils sont à cette minute précise les maîtres de leur destinée et que tout leur avenir dépendra du choix qu’ils vont faire. Mais les anciens se méfiaient des idées abstraites. Leur imagination admirablement plastique revêlait aussitôt la pensée d’une forme sensible, en faisait un beau récit ou un motif prêt pour le statuaire. C’est ce motif qu’a repris l’auteur de la Furie, sans toutefois lui conserver sa divine simplicité.

N’allons pas oublier ensuite que le drame s’intitule la Furie. Or les Furies n’étaient pas pour les Grecs ce qu’un vain peuple pense. Quand elles s’emparent d’Oreste meurtrier de sa mère et qu’elles l’affolent, il n’y a pas lieu de discuter : c’est le remords punissant le coupable. Mais le culte des Furies représente en outre une notion beaucoup plus subtile. On l’a souvent expliqué par la jalousie des dieux. Jaloux des hommes et craignant sans cesse d’être détrônés par eux, les dieux leur envoient toute sorte de maux. C’est encore une interprétation trop grossière. La Némésis antique n’était pas une loi de haine : c’était l’expression de l’ordre, de l’équilibre qui doit régner par le monde. Rien ne subsiste dans l’humanité comme dans la nature que grâce à l’harmonie. Tout ce qui menace de rompre cette harmonie est néfaste, et compromet l’intérêt commun. C’est alors que les dieux interviennent et suscitent l’incident qui remettra les choses en l’état. Un conquérant va-t-il dépasser les limites de la grandeur humaine ? ils lui suggèrent les desseins insensés dont il sera victime. Quos vult perdere Jupiter, dementat. C’est un piège où ils l’attirent, parce qu’il devenait un danger pour la concorde universelle. Un sage, par l’exemple de sa vie, va-t-il donner un démenti à la loi de l’humaine misère ? la volupté l’arrête sur le chemin de la perfection. Telle est cette idée de la mesure, chère aux anciens. Et l’auteur de la Furie a voulu sûrement nous la remettre en mémoire, puisqu’il en a placé l’expression dans la bouche de Lyssa, envoyée du Destin. On ne saurait donc reprocher à M. Jules Bois que son drame soit vide. Il est tout plein de choses au contraire, bourré d’intentions et regorgeant d’idées. Seulement, ce mélange de conceptions antiques et modernes, de vieux symboles et de nouvelles utopies est déconcertant pour l’auditeur et exige de lui un travail d’où il sort légèrement courbaturé.