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bienveillans pour me remettre en route, ou pour me remémorer la forme que j’ai donnée à quelque phrase antérieure. Bien souvent je coupe mon travail de rédaction au milieu d’un développement je laisse ma feuille fixée sur ma machine, et parfois, après quarante-huit heures d’interruption ou même davantage, sans hésitation, je reprends l’idée où je l’avais laissée. D’ailleurs, je ne me privais pas pour cela du droit de corriger : la rédaction ainsi achevée, je me la faisais relire et relire autant de fois qu’il était nécessaire, dictant à mon secrétaire des modifications et des additions parfois très nombreuses, apportant partout mille retouches de détail. Au reste, je crois pouvoir affirmer que ma forme n’est pas moins imparfaite lorsque j’écris de premier jet en Braille : au contraire, si elle est peut-être un peu plus ferme, en revanche elle a plus de raideur.

En somme, et c’est toujours là qu’il m’en faut venir, la mise en œuvre de ces 1 250 pages très compactes ne m’a pas du tout coûté l’effort prodigieux qu’on suppose volontiers. Ce qui a été long et pénible, c’en est seulement la préparation lointaine, tout ce qui ne paraît pas, le travail de documentation qui leur sert de fondement. Encore puis-je espérer que, si l’on m’a suivi, on s’est convaincu que tout cela pouvait se faire sans grande difficulté, que les procédés de travail dont disposent les aveugles le permettaient parfaitement. Ils m’ont donné, je crois, le moyen de me conformer exactement à la méthode que tout clairvoyant, désireux de traiter avec précision le même sujet, aurait été contraint de suivre. Car en tout cela je n’ai rien inventé : tout clairvoyant aurait dû, je pense, faire usage de quelque jeu de fiche analogue au mien. Je n’ai fait qu’adapter la méthode commune je dirais presque la méthode nécessaire, aux conditions spéciales des aveugles. Et cette adaptation était très simple, elle ne demandait pas un grand effort d’imagination. Elle s’est faite petit à petit, au fur et à mesure des besoins, par tâtonnemens successifs. Elle a jailli en quelque sorte des circonstances.

Mon dessein n’est pas, on le conçoit, d’engager les aveugles à faire des travaux d’érudition. Pour y réussir, il faut de toute nécessité avoir le goût, la passion de l’érudition, et, fort heureusement, peu de personnes sont atteintes de cette maladie. Que deviendrait la vie si tous nous étions métamorphosés en rats de bibliothèques ? Fort heureusement aussi, il y a d’autres travaux plus accessibles aux aveugles, et dans lesquels ils ont moins de