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tandis qu’un ange descend du ciel pour arrêter son bras. Peut-être les ailes de l’ange qui avaient frappé mon imagination d’enfant ont-elles laissé quelques traces dans ma mémoire ? Mais tout cela est si vague que j’ose à peine y croire, et pour peu que je cherche à presser mon souvenir, tout s’évanouit aussitôt. C’est plutôt un souvenir de vision qu’une image visuelle. J’ai des idées assez précises des couleurs, mais, faute de pouvoir les contrôler, j’ignore si elles sont exactes. Quand mes yeux se sont fermés, je ne savais pas lire. Mon éducation a donc été entièrement une éducation d’aveugle.

Je pris mes premières leçons en écoutant mes frères lire à haute voix. On me trouvait une bonne mémoire. A huit ans, à l’âge où le toucher est encore très sensible, je commençai à étudier l’alphabet Braille qui coûte à l’enfant moins d’effort que l’alphabet des clairvoyans. Ainsi, très jeune, je me familiarisai avec les deux procédés essentiels de travail dont je devais faire usage dans la suite, la lecture à haute voix et la lecture tactile.

Un séjour, à l’Institution nationale des jeunes aveugles de Paris, m’initia plus complètement à toutes les méthodes spéciales de la pédagogie des aveugles, mieux enseignées dans cette école que dans la plupart des autres, et me prépara ainsi aux études que je devais faire dans différens lycées de Paris.

Là, pour le latin, pour le grec, bien souvent même pour le français, les livres en relief me faisaient défaut. Je transcrivis et fis transcrire ceux qui m’étaient indispensables. La bibliothèque Braille en a mis beaucoup à ma disposition. En outre, des amis dévoués m’ont aidé dans cette tâche. Mais le plus souvent, comme autrefois, j’apprenais mes leçons avec un secrétaire ou avec un camarade qui me les lisait. J’usais constamment du système Braille pour noter tout ce que je désirais conserver, pour écrire les brouillons de mes devoirs, surtout pour prendre des notes aux cours qui nous étaient faits en classe. Par suite de cet exercice continuel, je maniais le poinçon avec rapidité, et, grâce à une sténographie que j’enrichissais peu à peu de signes nouveaux, aucune phrase des cours ne m’échappait. Quant aux devoirs que je devais remettre à mes professeurs, je les écrivais avec une machine à écrire, celle-là même dont je me sers en cet instant. C’est une dactyle qui ne diffère en rien du modèle ordinaire : et sans doute je ne vois pas les lettres inscrites sur les touches que je frappe, mais la mémoire supplée fort aisément à