Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ulrich Schombefg (1601-1648) nous avons un témoignage de Leibnitz. « Il a enseigné à Kœnigsberg, dit Leibnitz, la philosophie et les mathématiques à l’admiration de tout le monde. » Bien qu’il n’eût perdu la vue qu’à l’âge de deux ans et demi, il n’avait conservé aucun souvenir de la lumière ni des couleurs, si bien que les impressions visuelles ne furent pour rien dans sa formation intellectuelle. Au XVIIIe siècle, le Suisse Huber dut quelque réputation à Voltaire, et, grâce à Diderot, on a connu chez nous l’Anglais Saunderson. Le premier étudia les mœurs de la ruche ; mais il convient de remarquer qu’ayant joui de la vue jusqu’à l’âge de quinze ans, il avait fait la majeure partie de son éducation comme clairvoyant, et qu’il put s’aider sans cesse de l’imagination visuelle. Saunderson, au contraire, devint aveugle dans sa première enfance, et il semble bien néanmoins qu’il poussa fort loin ses études mathématiques. Comme Saunderson, qui professa à l’Université d’Oxford, beaucoup des aveugles que je viens, de nommer ont enseigné à des clairvoyans. Il en est de même de Penjon qui, au début du XIXe siècle, fut professeur de mathématiques au lycée d’Angers. Comme on le voit, les mathématiques et la philosophie prédominent. Comme poète on ne peut guère citer que Malaval qui soit parvenu à une certaine notoriété, car nous ne pouvons pas nommer le grand Alilton qui n’a perdu la vue qu’après la trentaine.

Ces noms ont beau ne pas briller d’un grand éclat, ils suffisent à prouver que la cécité n’entrave pas le plein développement des facultés intellectuelles. D’ailleurs, quiconque voudra s’en assurer par lui-même n’aura qu’à visiter un milieu d’aveugles instruits : on en trouve dans tous les pays, en particulier dans les grandes institutions d’aveugles. Dans tous les pays aussi on rencontre des étudians aveugles qui se livrent avec succès à des travaux variés. En France nous connaissons un docteur en philosophie, un docteur ès lettres, deux licenciés es lettres, un docteur en droit.

Si d’ailleurs, dans le passé, tant d’aveugles que nous venons dénommer, et beaucoup d’autres encore que nous ne connaissons pas, livrés à leurs seules forces, sans le secours d’aucune méthode, d’aucune tradition, sont arrivés à cultiver leur intelligence, comment s’étonner, aujourd’hui qu’ils trouvent des maisons prêtes à les recevoir et à les instruire, aujourd’hui qu’on a imaginé toute une pédagogie à leur usage et des procédés de