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les aveugles. Pour satisfaire tant de goûts, tant de besoins différens, il nous faut un nombre considérable, et toujours croissant de volumes. Et voilà pourquoi nous ne cessons de demander aux auteurs, désireux de nous témoigner leur sympathie, de nous envoyer leurs œuvres afin que nous les fassions copier ; aux personnes de bonne volonté de vouloir bien nous transcrire leurs lectures favorites dans le procédé Braille qui s’apprend sans effort. A peu de frais, tous peuvent collaborer à une œuvre qui apporte à des déshérités de précieuses distractions tout en les instruisant.

La distraction intellectuelle, en effet, est tout particulièrement chère à l’aveugle. Cela se conçoit. C’est par les yeux que le commun des hommes reçoit la majeure partie de ses plaisirs. Privés de ces plaisirs-là, en échange les aveugles en demandent d’autres à leurs autres facultés. Ils prétendent n’être point frustrés de leur part. Ici comme ailleurs, nous retrouvons la substitution des fonctions actives à celle qui refuse le service. Ils demandent des compensations surtout au sens de l’ouïe, et l’on sait combien les aveugles musiciens sont nombreux ; ils en demandent aussi et beaucoup au jeu de l’intelligence et de la réflexion. « Je suis si heureuse, écrit Helen Keller, que je voudrais vivre toujours, parce qu’il y a tant de belles choses à apprendre. » D’une façon générale, les aveugles aiment beaucoup la lecture, beaucoup plus en moyenne que ne font les clairvoyans de même niveau intellectuel. Dans les écoles d’aveugles, les heures de lecture en commun sont des récréations fort goûtées. Je sais des aveugles occupés tout le jour qui donnent aux livres une partie de leurs nuits. Souvent les lettres de remerciemens que les lecteurs adressent à la Bibliothèque Braille sont pleines d’une reconnaissance singulièrement touchante, bien propre à encourager tous ceux qui travaillent à l’enrichir.

Ce goût de la lecture, ce besoin de distractions de l’esprit constituent, si je ne me trompe, un avantage intellectuel de quelque poids pour les aveugles et favorisent leur développement. Ils sont en outre souvent bien doués sous le rapport de la mémoire, et l’on sait de quel prix est la mémoire. A vrai dire, elle semble avoir tendance à baisser chez les aveugles depuis qu’ils écrivent plus facilement ; elle reste pourtant bonne en moyenne. Mettrai-je encore en ligne de compte que souvent leur infirmité les abrite contre l’invasion du journal ? La substitution du journal au livre, du