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C’est la même idée de l’amour, voilée de poésie et de symbole, transposée dans le royaume du mystère, que nous offre ce conte merveilleux, The Brushwood Boy. L’imagination anglaise ne répugne aucunement à l’inexpliqué, à l’étrange, et ce penchant que nous avons signalé déjà, à propos de quelques belles histoires de l’Inde, reparaît ici au service non plus du pittoresque, mais du symbole. George Cottar a beau grandir et avancer dans la vie, ses nuits continuent à être traversées d’un certain rêve au cours duquel il se retrouve « the brushwood boy, » l’enfant qui joue autour d’un tas de broussailles, coupées quelque part près d’une grève. Une petite fille y jouait dès la première fois avec lui, et elle demeure, durant les dix années de collège et plus tard pendant les années de l’Inde, sa compagne de rêve. Il n’en connaît point d’autre. Ils font ensemble d’étonnantes chevauchées, de prodigieux voyages. George cependant est tout à son métier, à ses devoirs. Il est, selon l’idéal juvénile de M. Rudyard Kipling, sérieux, actif et pur, exactement préparé aux éventualités où le placera l’ordre des choses, digne du succès et des plus nobles félicités. Une petite campagne de frontière révèle son courage, son sang-froid, sa modération. Il reçoit le brevet de chef d’escadron et l’ordre du Distinguished Service. Le bel officier rentre en Angleterre avec un congé, essuyant sur le bateau, sans même s’en douter, le feu d’un ardent caprice de femme. Il retrouve la maison familiale où rien n’est changé, son père et sa mère, fiers de lui, heureux de le revoir, les serviteurs fidèles, la douceur ancienne des choses. « Rien ne vaut l’Angleterre, quand on a fait sa besogne. — Voilà la vraie manière d’envisager les choses, mon fils. » Et voici que, dans la sérénité de cette vie loyale, ordonnée, traditionnelle, vers le jeune homme qui ne s’est point épuisé à les chercher, qui n’y a point pensé, s’avancent miraculeusement le Bonheur et l’Amour. Ses parens lui destinaient une jeune fille ; elle vient, il la reconnaît : il l’a connue toute sa vie et il découvre qu’elle a fait de son côté le même rêve, le rêve du tas de broussailles, et les chevauchées étranges et les prodigieux voyages. Ils se sont connus toute leur vie, ils se sont aimés toutes les années de leur âge, ils s’appartiennent dès le passé, exclusivement et à jamais. Heure divine où l’Ordre, la Droiture, la Pureté, se couronnent spontanément de lumière. Il faudrait transcrire des pages de ce conte pour donner l’idée de sa haute spiritualité et de sa transparente beauté. Le symbolisme de M, Rudyard Kipling