Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conséquence politique d’une philosophie de l’action appuyée sur le sens de l’énergie et celui de l’ordre. Tout se tient dans cette œuvre, depuis l’admiration pour Tommy Atkins, qui se manifestait déjà dans les premiers contes, jusqu’aux symboles les plus élevés des derniers recueils. La vie n’est rien sans la force, ni la force sans la discipline, ni la discipline sans les traditions. Voilà tout le « message » de M. Rudyard Kipling. On comprend qu’il se résume dans la progression de ces trois termes : esprit de corps, patriotisme, impérialisme.

Y conformer sa vie, c’est l’assurer contre les faillites de l’égoïsme. Une existence vouée à servir puisera dans le sentiment de son utilité une consolation aux échecs personnels. Les raisons que l’homme a trop souvent de juger sa destinée avec amertume, quand il la considère dans ses étroites limites, s’effaceront s’il la regarde comme un très petit élément d’une destinée plus ample. Le pessimisme individuel disparaîtra et se perdra, pour ainsi dire, dans l’optimisme social. « Si nous faisons servir notre travail à nos fins, il n’aura pas plus d’égards pour nous que nous n’en aurons eu pour lui. » Et ailleurs : « Vous êtes dans la mauvaise voie pour réussir. On n’arrive point au succès en sacrifiant les autres ; il faut vous sacrifier vous-même et plier votre vie à obéir. » C’est la leçon des Capitaines courageux. Le jeune Harvey Cheyne, fils d’un millionnaire américain, ne serait rien s’il n’avait travaillé une saison à bord du schooner de Disko Troop, un loup de mer qui ne badine pas avec la discipline et le service. Grâce à cet apprentissage, le garçon est sauvé. La même leçon est donnée par ses machines au mécanicien Mc Andrew. Il a longuement vécu parmi elles et, vieillard, sa récompense est un soir de comprendre leur révélation. Pour ce bon calviniste écossais, dont elles constituent à peu près toute l’expérience, elles deviennent l’image même de la création ; elles parlent à sa conscience de puritain et y martèlent les mots sacrés : Loi, Ordre, Devoir, Discipline, Obéissance. En somme, il peut SR rendre ce témoignage de ne pas les avoir méconnus, et son âme s’élève avec sérénité vers le Dieu que M. Rudyard Kipling appelle volontiers le Maître de tous les bons ouvriers, le Chef du grand atelier où chacun doit faire sa besogne, « the Great Overseer, » — qui est aussi le Dieu hébraïque des combats, « the Lord God of battles. »

Aux meilleurs combattans, il donnera la victoire, qui seule