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fait ses études dans un collège du Devonshire. Énergique, résolu, les yeux bien ouverts sur le monde, le voici tout de suite en contact intime avec le pays dont il sent battre les artères au bout des fils qui aboutissent à son bureau de rédaction, le long des grands chemins qu’il parcourt comme correspondant de journaux, dans les villes et dans les camps, partout enfin où il se mêle au monde officiel, aux diverses classes de la population indigène ou anglaise. Son précoce talent se nourrit d’une si riche matière, et bientôt il donne les Simples Contes des collines (Plain Taies from the Hills). Si quelques récits annoncent déjà les recueils postérieurs, la note dominante est celle de l’ironie et de l’humour, le sujet principal est la société anglo-indienne, avec les intrigues et les aventures de la station d’été, la coquette Simla, égrenée sur les premières pentes de l’Himalaya.

La jeunesse est irrévérente. Ses regards fixés au loin ne s’arrêtent pas assez sur la vie toute proche pour pénétrer ses secrets, ses grandeurs et ses misères, pour en recevoir des leçons d’indulgence et de respect. Plus qu’un autre, M. Rudyard Kipling, robuste, hardi, maître de lui, plein d’assurance et de confiance, est prêt à observer sans émotion, à railler avec tranquillité. Son esprit dégagé s’amuse de cette société brillante et nostalgique, avide d’oublier dans les plaisirs le fardeau de la vie hindoue et la douceur perdue des foyers séculaires. Après tant de romanciers qui nous ont ouvert le home, voici des peintures de l’Anglais hors de chez lui, loin de chez lui, aventuré parmi les fatigues et les périls. Ces premières esquisses, vivement enlevées, sont peu sentimentales et révèlent une main sûre au service d’un regard aigu. Peut-être aussi le très jeune écrivain se plut-il à scandaliser le lecteur, à forcer son attention, fût-ce en ajoutant à la désinvolture un peu de brutalité. Il y a bien, en effet, quelque affectation de cynisme dans la complaisance avec laquelle M. Rudyard Kipling nous peint l’envers de la brillante société anglo-indienne et du somptueux décor officiel. C’est un signe de force de voir les choses comme elles sont et de les faire voir aux autres, tranquillement. L’auteur des Simples Contes se sent très fort. Nombre d’Anglais, parmi les critiques ou les lecteurs,