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Si encore elle était mariée, le grand-duc serait toujours avec elle. Mais elle ne le voit pas autant qu’elle Voudrait et, quand elle le voit, c’est, la plupart du temps, devant le monde. Sa sœur partie, elle sera seule, absolument seule, sans personne à qui communiquer « ses petites pensées. » Et elle envie la fillette dont s’apprête le départ. « Elle vous verra ! Dieu, qu’elle est heureuse ! Maman, je n’éprouverai peut-être jamais ce bonheur. » Souvenirs, plaintes, regrets, reviennent ainsi souvent dans les lettres de la grande-duchesse, comme un refrain triste dans un chant joyeux.


III

Au mois de décembre suivant, la bénédiction nuptiale est donnée aux fiancés et les voilà unis pour la vie. « Nos nouveaux mariés, écrit l’Impératrice à Grimm, sont très occupés, à ce qu’il paraît, l’un de l’autre et ce grand fou de Constantin saute autour d’eux. » Ces quelques lignes donnent, semble-t-il, une idée assez exacte de ce que fut leur lune de miel, embellie par leur jeunesse et par la sincérité de leurs sentimens, mais souvent troublée sinon assombrie par les exigences de la vie de Cour, qui les laissent trop rarement l’un à l’autre, et aussi par les mille intrigues qui se nouent autour d’eux. Ces intrigues, la grande-duchesse en parle discrètement dans ses lettres à sa mère et nous les soupçonnerions à peine si Protassoff, le gouverneur du grand-duc, ne nous les révélait dans son Journal ou dans ses lettres à Rostopchine.

Il n’aimait pas la comtesse douairière Schouvaloff, nommée grande-maîtresse de la maison d’Elisabeth, et peut-être les propos qu’il répand sur elle sont-ils calomnieux ou, tout au moins, dénaturent-ils la vérité. On ne saurait cependant n’en pas tenir compte et ne pas les considérer comme vraisemblables, surtout quand on se rappelle la perversité qui régnait, sous Catherine, à la Cour impériale.

Protassoff accuse donc la comtesse Schouvaloff d’avoir tenté, pendant la durée des fiançailles, de s’emparer de l’esprit et de la volonté du grand-duc Alexandre. A cet effet, elle a poussé sa fille aînée dans ses bras. La vertueuse résistance du jeune prince a fait avorter ce calcul, et ni la mère ni la fille ne le lui ont pardonné. Aussi voit-on la première s’efforcer, après le mariage,