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elles travaillent aussi. Maître de russe, maître de danse, maître de musique, maître de dessin occupent une partie de leurs journées. Puis, ce sont les réunions intimes chez l’Impératrice, les petits bals à l’Ermitage, les soirées passées en famille autour d’une table ronde, où l’on bavarde, où l’on regarde des estampes, où « on joue au secrétaire ou à des jeux comme cela. »

A la faveur de ces distractions, le grand-duc se familiarise avec les deux sœurs, l’aînée surtout, et son frère Constantin est le boute-en-train de ces soirées. « Il est son père tout craché, mais en jeune seulement, mande la princesse Louise à sa mère. D’une vivacité, non ? mais sans égale ; beaucoup, beaucoup d’esprit vraiment, ce qu’on nomme en allemand et dont je ne trouve pas l’équivalent en français : Witz. Cela dépend de lui quand il veut faire rire quelqu’un. Dernièrement, j’étais engagée dans une conversation très sérieuse avec le grand-duc A… ; le grand-duc Constantin, je ne sais plus ce qu’il a fait ou dit. Mais il a fait éclater de rire tout le monde à la table ronde. »

Le portrait qu’elle trace de celui qui sera bientôt son fiancé n’est pas moins bienveillant et prouve qu’il commence à lui plaire. « Il est très grand et assez bien fait ; il a surtout la jambe et le pied très bien formés, quoique son pied est un peu grand ; mais il proportionne à sa grandeur. Il a les cheveux brun clair, les yeux bleus pas très grands, mais non plus petits, de très jolies dents, un teint charmant, le nez droit, assez joli. Pouf la bouche, il ressemble beaucoup à l’Impératrice. »

On voit qu’elle s’est appliquée à l’observer, ce qui démontre qu’il a cessé de lui être indifférent. Il est vrai qu’elle a senti qu’il se rapprochait d’elle, qu’elle l’attirait de plus en plus. Ils se connaissent depuis quelques semaines, quand il ose enfin lui laisser comprendre ce qu’il éprouve. Un soir, à la table ronde, il lui glisse un billet où il lui demande de « recevoir ses sentimens. » Il les a avoués à sa grand’mère, à ses parens. Mais c’est surtout à son gouverneur Protassoff qu’il prodigue ses confidences, et celui-ci nous les répète dans le journal qu’il tient de sa vie tous les jours. « Il m’a dit franchement combien la princesse lui était agréable, qu’il avait été déjà amoureux de nos femmes d’ici, mais que ses sentimens à leur égard étaient remplis de feu, d’un désir incertain, une impatience de se délectera leur vue. » Rien de pareil dans ses sentimens pour la princesse Louise. Ils sont faits de déférence, de tendre amitié,