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lui et en quelles circonstances tragiques elle lui succéda. Une fois sur le trône, elle entendit que sa volonté s’exerçât sans entrave ni contrainte ; même en cédant aux caprices amoureux par où se manifestèrent si souvent ses faiblesses de femme, elle se souvint toujours qu’elle était souveraine et ne consentit jamais à ce que ses amans oubliassent que, quoique honorés de ses faveurs, ils lui devaient obéissance.

Ce pouvoir sans contrôle pesa constamment sur tous ceux qui vivaient autour d’elle et jusque sur son fils, le grand-duc Paul. Il fut obligé de s’y soumettre, comme le plus humble des sujets russes, bien qu’il fût l’héritier de la couronne. Tant que l’Impératrice vécut, il dut subir ce joug. Il le subit, docile en apparence, mais l’irritation dans le cœur, une irritation qui avait sa source, non seulement dans la violence faite incessamment à sa volonté, mais aussi dans le ressentiment qu’il avait conçu contre sa mère, en raison du meurtre de son père, dont il la soupçonnait d’avoir été complice. Relégué le plus souvent dans son palais de Gatchina, systématiquement éloigné des affaires, dépourvu de toute influence, il contint ses rancunes. Elles n’éclatèrent que lorsqu’il monta sur le trône. Jusque-là, il ne fut rien dans l’Etat, n’y compta pour rien, réduit à dissimuler son mécontentement et, lorsqu’il paraissait à la Cour, à faire bon visage à la femme dont il était le fils et qui s’obstinait à le maintenir dans une situation humiliante.

C’est elle qui l’avait marié : une première fois avec la princesse Nathalie de Bade, et, après la mort prématurée de celle-ci, avec une nièce, de Frédéric le Grand, fille du roi de Wurtemberg, qui devint, en épousant l’héritier de la couronne russe, la grande-duchesse Marie Féodorovna. De ce second mariage naquirent plusieurs enfans dont l’aîné fut le tsar Alexandre Ier. Catherine se refusa à laisser à leurs parens le droit de les élever. Sur ce point, comme sur tant d’autres, elle fut intraitable, notamment en ce qui touchait le grand-duc Alexandre. Elle s’improvisa, dans la personne des maîtres qu’elle lui avait choisis, sa véritable éducatrice, et, lorsqu’il atteignit sa quatorzième année, — c’était à la fin de 1790, — elle commença à se préoccuper de lui trouver une femme. A une autre époque, c’est à la Cour de Bade qu’elle en avait trouvé une pour son fils ; c’est vers la même cour que se portèrent ses recherches, en vue du mariage de son petit-fils.