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la direction de la production par les groupes producteurs. »

Les syndicalistes révolutionnaires prétendent rejeter tout nationalisme au profit de l’internationalisme, mais leur lutte de classes est un nationalisme nouveau, élevé à la hauteur d’une religion, et qu’ils prétendent substituer à l’amour de la patrie. « Un travailleur doit aimer sa classe comme sa mère, » écrit un syndicaliste français. Soit. Mais pourquoi le travailleur n’aimerait-il pas aussi sa patrie, qui est sa vraie mère ? Les ouvriers français se flattent d’avoir une « conscience de classe » supérieure à celle des ouvriers des autres nations, en ce qu’elle enveloppe, sous une forme plus nette, des idées de justice et de solidarité humanitaire ; mais d’où leur vient cette supériorité ? — De leur patrie, qu’ils veulent renier, de cette France qui a fait 89 et qui leur a inspiré toutes les idées dont ils s’enorgueillissent. Leur conscience de classe, en tant qu’elle n’est pas une simple coalition d’intérêts communs et d’égoïsmes communs, est donc une conscience nationale, une conscience française qui, comme l’a toujours fait la vraie France, s’efforce de s’identifier à la conscience humaine. Sans leur patrie, ils n’auraient pas connu l’humanité, ses « droits » et ses titres universels.

Les philosophes du syndicalisme révolutionnaire nous promettent une morale nouvelle : une morale de classe, la « morale des producteurs. » En quoi peut consister cette morale nouvelle ? Pour produire, il faut déployer les vertus cardinales de l’antiquité : science ou sagesse, force de volonté, tempérance et maîtrise sur les passions sensuelles. Pour produire, il faut aussi, ce semble, respecter la justice et ce n’est pas trop de pratiquer encore la bienveillance, soit à l’égard des autres producteurs, soit à l’égard de ceux qui dirigent la production. La morale des producteurs est la vieille morale ou n’est rien qu’un de ces mots sonores dont on essaie de duper les foules. On veut, il est vrai, opposer cette morale à celle des improductifs, des oisifs et des parasites ; mais qui a jamais soutenu la morale de l’oisiveté ? Est-ce que les théologiens eux-mêmes n’ont pas placé la paresse dans leur liste des péchés capitaux, à côté de la luxure et de la gourmandise ? La moralité des producteurs ne peut donc s’opposer qu’à l’immoralité des paresseux. L’arrière-pensée des socialistes, c’est que les ouvriers seuls sont des producteurs, et que la seule morale est la morale ouvrière ; mais nulle classe