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M. Gide a justement comparé les lois naturelles de l’économie politique aux lois du feu ; constater que le feu tend à monter, à se propager pour telles et telles raisons, ne donne pas le droit de dire qu’en fait notre maison brûlera, encore moins qu’elle doit brûler. La société, ajouterons-nous, est toujours capable de réagir par la connaissance qu’elle a de ses propres lois, comme un feu qui pourrait s’activer ou se diminuer par la conscience de lui-même. Ceux qui parlent sans cesse des « lois naturelles » ne parlent pas assez des lois psychologiques et sociologiques. Il y a dans l’économie politique une donnée qui n’existe pas dans les sciences de la nature : c’est le travail humain. Si, par un côté, le travail rentre dans les lois naturelles de la physiologie, il rentre, par un autre, dans les lois non moins naturelles de la psychologie, puisqu’il enveloppe un élément intellectuel et volontaire, une idée directrice, une idée-force ; il rentre enfin dans les lois naturelles de la sociologie, puisqu’il n’est plus l’effort d’un être isolé, mais celui d’un être indissolublement lié à un ensemble d’autres êtres, doués comme lui de conscience. Le travail réagit sur lui-même et sur ses propres conditions par son élément montai et par son élément social. Il en résulte, selon nous, que l’économie politique doit être inséparable de la psychologie, de la sociologie, du droit et de la morale. Cette dernière science impose l’idée-force de justice aux catégories économiques de la production, de la distribution, de la consommation.

La possession des moyens de satisfaire les désirs humains, c’est-à-dire de la richesse, doit être considérée comme un moyen de perfectionner l’homme, non pas seulement de faire vivre ou jouir l’animal. « Il n’y a point de richesse, dit Ruskin, mais il y a la vie, la vie renfermant toutes les puissances d’amour, de joie et d’admiration. » L’économisme et le socialisme matérialiste, qui se préoccupent de « richesses, » assureront-ils le développement intensif et extensif de la vie, des puissances d’amour et de joie ? Ce but moral des sociétés l’emporte infiniment sur le but économique, qui n’est, en réalité, qu’un moyen.

Un auteur anglais a prétendu que, s’il est aujourd’hui une classe de gens qui ait besoin d’être prêchée, ce sont les économistes exclusifs qui se rattachent à l’école de Manchester : par la confiance qu’ils ont dans la lutte des égoïsmes pour produire