Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de révolutionnaires sur lequel il fallait mettre le pied. Heureusement la distance est grande entre les paroles et les actes. Le gouvernement austro-hongrois a senti qu’il se mettrait dans son tort envers l’Europe s’il procédait de parti pris à une exécution dont la nécessité n’aurait pas été absolument démontrée, et elle ne l’était pas ; mais à mesure que le temps s’écoule et que les excitations serbes deviennent de plus en plus vives, l’opinion autrichienne s’énerve et la surprise serait moindre si le gouvernement de Vienne se portait à quelque coup décisif. On ne semble pas s’en douter, ou du moins s’en émouvoir à Belgrade, et là est le péril. Il augmente de jour en jour. Si la Serbie ne compte pas sur le concours éventuel d’une grande puissance qui ne peut être que la Russie, elle est bien imprudente ! Et, si elle y compte, ou elle se trompe de la manière la plus dangereuse pour elle, ou bien c’est l’Europe elle-même qui est en danger. Si, en effet, l’armée autrichienne entrait en Serbie et si l’armée russe venait au secours de cette dernière, le jeu des alliances se produisant normalement, nous allions dire automatiquement, il serait impossible de limiter le champ du conflit ; toute l’Europe pourrait y être entraînée. Quelque sympathie que mérite la Serbie ou que nous ayons pour elle, sa cause vaut-elle une guerre générale, et les grandes nations ont-elles l’obligation morale de s’y exposer ? C’est la question qui se pose aujourd’hui.

Elle se pose dans des termes d’autant plus clairs qu’une démarche faite à Berlin par l’Angleterre et la France, avec l’approbation de la Russie, a montré ce qu’il y avait d’irréductible dans l’attitude de l’Autriche et de l’Allemagne. L’Angleterre et la France, — et l’Italie était, dit-on, d’accord avec elles, — se sont demandé si, pour prévenir de grands malheurs, le moment n’était pas venu d’intervenir amicalement à Vienne et à Belgrade et d’y conseiller la conciliation. Toutefois, les deux puissances ne voulaient agir dans ce sens que si l’action de l’Allemagne devait se joindre à la leur, faute de quoi on se serait exposé à diviser l’Europe en deux, et à rendre cette division très apparente : l’inconvénient aurait été encore plus grand que celui auquel on aurait voulu remédier. Il fallait donc consulter Berlin. Notre gouvernement a bien fait de s’associer à cette démarche, car elle était franche et généreuse ; la tentative était de celles auxquelles on ne regrette pas d’avoir participé ; mais, à dire vrai, nous ne sommes pas étonnés du résultat négatif qui s’est produit. Au point où on en était, il était à prévoir que l’Autriche n’accepterait pas d’être mise en quelque sorte sur le même pied que la Serbie, et