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M. Picard de veiller sur notre flotte : pourquoi faut-il qu’il soit impossible d’approuver à la fois l’un et l’autre ? Le bon ordre de nos finances et la mise en valeur de notre flotte sont des intérêts également précieux, qui mériteraient d’être également garantis. Mais si personne ne peut soupçonner M. Picard d’avoir, dans toute cette affaire, une autre préoccupation que celle de notre marine, tout le monde n’a pas la même confiance dans le désintéressement d’esprit de M. Caillaux.

M. Caillaux est l’homme qui a livré notre vieux système financier aux socialistes, et qui, sous leur inspiration, s’emploie à en organiser un autre où ils puiseront plus facilement les sommes nécessaires à la réalisation de quelques-unes de leurs idées. Il s’agit bien d’économies avec M. Caillaux ! C’est, par excellence, le ministre des dépenses : la seule question, avec lui, est de savoir à quelles dépenses on donnera la préférence, et si on les appliquera à des œuvres sociales ou à des œuvres de défense nationale. Tout est là. M. Caillaux, ayant derrière lui M. Jaurès, craint qu’on ne lui enlève les sommes dont il a besoin pour des projets dont les uns sont connus, et dont les autres restent, dans l’ombre, M. Jaurès ne nous ayant pas encore livré toute sa pensée. Il nous est difficile de nous intéresser aux projets de M. Jaurès et de M. Caillaux ; on nous pardonnera cette incapacité ; mais comment ne pas nous préoccuper passionnément de notre marine, aussi bien que de notre armée ? Les dépenses que nous faisons pour elles ne sont pas des dépenses facultatives. Le moment peut venir, et qui sait si ce ne sera pas bientôt ? — où les plus redoutables questions se poseront pour l’Europe. On ne peut pas aujourd’hui regarder le danger de guerre comme chimérique. Nous ne faisons point fi des réformes sociales ou fiscales, lorsqu’elles doivent avoir vraiment pour effet d’augmenter la richesse générale du pays et le bien-être de ses habitans ; mais avant tout, il faut vivre, et c’est à ce besoin primordial que correspondent nos dépenses militaires. Qu’on les étudie avec soin pour les faire au meilleur compte possible, et que M. Caillaux soit appelé à contrôler les calculs de M. Picard, nous le voulons bien : il n’en reste pas moins vrai que nous avons, depuis quelques années, négligé notre flotte ; nous avons laissé d’autres puissances prendre sur nous un avantage marqué ; nous avons oublié que nos navires de guerre ne se suffisent pas à eux-mêmes ; nous avons enfin, à tous ces points de vue, beaucoup d’omissions à réparer. Au risque de perdre pour un temps M. Caillaux, qui, après avoir fait voter son impôt sur le revenu par la