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Ce draconien projet de loi sur l’expropriation en Pologne que le prince de Bülow vient de soutenir devant le Landtag prussien est une manifestation de pangermanisme pratique qui ne laisse rien à désirer au point de vue de la franchise. Nous voudrions examiner les positions actuelles de cette doctrine conquérante, scruter les sentimens de l’opinion cultivée à l’égard de ses premiers artisans. Nous voudrions surtout signaler les nouveaux venus parmi ses apôtres, ceux qui se sont fait connaître depuis peu par quelque prédication retentissante au sein d’une église dont les fidèles se font chaque jour plus nombreux.


I

Le précurseur le plus notoire du pangermanisme théorique est un Français, le comte de Gobineau. M. Romain Rolland, esquissant hier dans son beau roman de Jean Christophe la silhouette d’un littérateur wagnérien, écrit de cet original : « Il va de soi que Wagner était pour lui le type du pur Aryen dont la race allemande est restée le refuge inviolable contre les influences corruptrices du sémitisme latin et spécialement français… Il ne reconnaissait qu’un seul grand homme en France, Je comte de Gobineau[1]. » Tel est bien l’état d’âme de maint pangermaniste fougueux. L’écrivain qui a le plus fait pour la réputation posthume de Gobineau au-delà du Rhin, le docteur Ludwig Schemann, vient de raconter dans une intéressante brochure[2]la fondation, par des mains allemandes, d’un sanctuaire voué aux mânes de notre compatriote. Oui, Gobineau a désormais son musée, son « Archiv, » chez nos voisins, aussi bien que Gœthe, Schiller, Wagner ou Nietzsche, et ce musée possède un caractère en quelque sorte officiel qui fait défaut à plus d’une institution du même ordre. La « collection Gobineau » remplit une salle entière dans la Bibliothèque de l’Université de Strasbourg, ce corps savant ayant acquis, pour un prix assez élevé, les reliques de l’écrivain français. On trouve réunis en ce lieu ses manuscrits, les documens qui se rapportent à son œuvre, et quelques pièces du mobilier oriental dont il aimait à parer les installations, presque toujours sommaires, qui

  1. Page 129 de la IVe partie.
  2. Die Gobineau-Sammlung der Kais. Universitates und Landesbibliothek zu Strassburg, Strassburg, Truebner, 1907.