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allemande. Nous avons analysé ces faits en leur temps et il est trop tôt, la crise étant encore pendante, pour conclure à leur sujet. Il nous suffit de constater que partout, toujours, reparaît l’inquiétante rivalité ; elle se poursuit à Madrid, à Washington, dans les cours du Nord, dans les petits États balkaniques ; partout les deux diplomaties sont en présence et souvent les deux souverains vont eux-mêmes, pour intimider ou séduire, mettre leur prestige personnel au service de leur politique. Il semble que, dans les affaires orientales comme dans celles du Maroc, le tournant dangereux soit aujourd’hui franchi ; mais qui sait si bientôt l’angoissant problème ne se posera pas sous un aspect nouveau ? Aujourd’hui apaisement, demain crise ; aujourd’hui échange de visites et de paroles courtoises, demain augmentation des flottes rivales ; l’opinion publique, énervée, s’affole au moindre incident ; l’Allemagne est reprise du « cauchemar des coalitions, » elle se croit « encerclée, » elle porte la main à la garde de son épée ; l’Angleterre voit la ruine de son Empire et de son commerce ; le spectre de la famine et de l’invasion la hante. Comment donc une rivalité si ardente, qui, à certaines heures, a paru sur le point de jeter l’une contre l’autre les deux moitiés de l’Europe, n’a-t-elle pas encore provoqué un conflit armé ; pourquoi même peut-on espérer qu’elle n’en provoquera pas ? C’est la question à laquelle, en manière de conclusion, il nous reste à répondre.


V

On dit, — pour reprendre une comparaison dont nous nous servions au début de ces pages, — que les aéronautes, lorsqu’ils se sont élevés assez haut dans les airs, distinguent les grands courans qui agitent les eaux marines et, incessamment, les renouvellent. Peut-être aussi, si nous pouvions dominer d’assez haut notre temps, verrions-nous dans quel sens les grands courans sociaux emportent les peuples et, incessamment, renouvellent les sociétés ; peut-être saisirions-nous le secret du prodigieux enfantement dont notre siècle est en mal ; peut-être comprendrions-nous vers quel avenir et par quels chemins nous conduisent ces deux grandes forces aveugles, mystérieuses, qui mènent le monde moderne, les peuples et les idées. Louis XIV pouvait dire : « Demain ; » aucun de nos