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Edouard édifiait un nouveau système d’ententes dont l’Angleterre était le centre. Le groupement des puissances occidentales et l’alliance franco-russe établissaient l’équilibre européen sur des assises nouvelles ; l’hégémonie allemande était contenue, limitée dans de justes bornes. Alors commence, entre ces nouvelles combinaisons et la puissance allemande, une lutte acharnée qui a le monde pour théâtre, et qui explique tous les incidens dramatiques qui sont survenus depuis ; ces complications ne prendront fin que le jour où l’Allemagne sera convaincue que le système nouveau n’est dirigé contre sa puissance que dans la mesure où elle serait tentée d’en abuser. Le Cabinet de Berlin voulut sans tarder mettre à l’épreuve la solidité des nouveaux accords, démontrer que, où que ce soit, « aucune grande décision ne peut plus être prise sans l’Allemagne et sans l’Empereur allemand ; » il comprit que le point où il fallait frapper était le Maroc où l’Italie et l’Angleterre avaient reconnu à la France des droits qu’il restait à faire valoir et où l’Allemagne se présenterait comme le champion de l’intérêt général contre la France qui, disait-on, prétendait confisquer le Maroc à son profit particulier. Le 31 mars 1905, l’Empereur débarquait à Tanger : la crise aiguë commençait. Le Maroc n’était qu’une « occasion ; » en réalité, c’était d’un conflit d’alliances, d’une lutte pour l’hégémonie, qu’il s’agissait, et, moins que la France, c’était l’Angleterre que visait la politique de la Wilhelmstrasse, ou plutôt, c’était l’entente nouvelle de l’Angleterre et de la France.

On sait les événemens qui suivirent, et dont il est superflu de refaire ici l’histoire. L’erreur de l’Allemagne fut de croire que les procédés d’intimidation pourraient suffire à détruire une entente cordiale fondée précisément sur un commun besoin de résister à l’hégémonie allemande ; la France dut louvoyer à une heure tragique où elle se trouva, avec une armée et une marine affaiblies, et une alliée vaincue en Mandchourie, en face de l’Allemagne menaçante ; mais cette attitude même, dont le Cabinet de Berlin ne sut pas comprendre la signification, fortifia les ententes nouvelles. A la Conférence d’Algésiras, elles donnèrent la pleine mesure de leur efficacité. M. André Tardieu[1] a parfaitement montré la

  1. La Conférence d’Algésiras. Alcan, 1907, in-8.