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l’Empire ; les plus lourdes responsabilités allaient peser sur les épaules du nouveau roi.

Le prince de Galles devenait roi à soixante ans. Il avait constamment vécu loin de la politique ; on l’en croyait fort détaché et on se demandait si la fréquentation des hommes de sport et des sociétés où l’on s’amuse était une préparation suffisante au gouvernement d’un immense empire. La Reine, depuis longtemps, abandonnait à son fils les fonctions officielles de représentation et de parade ; les réceptions, les inaugurations, les harangues d’apparat, les fêtes sportives, les visites à l’étranger, étaient de son ressort ; il s’en acquittait avec une ponctualité, un goût de l’étiquette et du cérémonial qui contrastaient avec les habitudes de sa vie indépendante et libre. Au cours de son existence de plaisirs, de voyages et de sports, Edouard VII avait développé et exercé les facultés natives de son esprit pratique, juste, pondéré, pénétrant. Dans la fréquentation assidue des cours, mais aussi du monde cosmopolite de la haute finance et de la « haute vie, » il avait acquis le scepticisme élégant dans les choses secondaires, la courtoisie distinguée et séductrice qui n’est pas seulement le fruit savoureux de l’éducation, mais qui vient d’une juste appréciation de la valeur de chaque individu dans les affaires humaines, la connaissance des hommes qui s’acquiert surtout dans la société des femmes, la notion précise que toutes les affaires peuvent se chiffrer par doit et avoir et qu’il est avantageux de les traiter à l’amiable et de les régler au plus juste prix, enfin le goût de la paix et de la concorde nécessaires à la joie de vivre. La pratique des sports l’avait habitué à juger avec précision et rapidité d’une situation donnée ; elle lui avait enseigné la nécessité, pour réussir, d’être toujours entraîné, toujours prêt, toujours flegmatique, l’utilité de partir à temps et l’importance des moindres détails pour le gain de la course. Enfin, pour en avoir parfois manqué, il savait la valeur de l’argent et le prix de tout ce qui s’achète. Entre le prince de Galles de la veille et le roi du lendemain, il n’y eut ni transformation profonde, ni rupture d’habitudes ; le Roi appliqua simplement à de plus grandes affaires ses facultés naturelles aiguisées par l’expérience. Son caractère, sa vie passée, ses relations, ses qualités et même ses défauts, le préparaient au rôle qu’il allait jouer, il y entra de plain-pied, sans embarras, sans tâtonnemens.