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travers les mers, l’émigration des Allemands et l’exportation de leurs produits industriels ; il a eu la constante préoccupation de promouvoir la naissance des compagnies de navigation ; il a lancé sur l’eau son peuple de « rats de terre ; » mais « le commerce suit le pavillon : » la création de la marine de guerre est la conséquence de l’expansion commerciale. La mission des cuirassés est de protéger partout le commerce allemand, de faire respecter les couleurs de l’Empire, d’inspirer à tous les peuples de la terre une idée magnifique de la puissance du « sur-peuple » allemand. Les moyens sont pratiques et modernes : organisation du commerce, associations d’émigrans allemands, diplomatie mise au service du négoce, l’Empereur lui-même se faisant, comme on l’a dit, le commis voyageur de l’industrie allemande. Mais à ces réalités pratiques se mêle un langage mystique et féodal. A son frère, partant pour Kiao-tcheou, où il va défendre des intérêts mercantiles et coloniaux, Guillaume II parle comme jadis aurait parlé Hermann de Salza à ses chevaliers teutoniques, partant pour guerroyer dans la marche de l’Est contre les Polonais ; lui-même, à Jérusalem, parle comme un croisé luthérien, à Damas comme un dévot de l’Islam. Il ne faut pas voir là seulement un effet de son goût naturel pour la couleur et le pittoresque ; créateur d’une politique nouvelle, d’une Allemagne maritime et commerçante, il a le souci constant de montrer les liens qui rattachent l’Allemagne d’aujourd’hui à celle d’hier et de faire comprendre à son peuple la continuité de l’effort qui de l’une a fait sortir l’autre.

Au cours de cette entreprise d’expansion extérieure dirigée par l’Empereur, l’Allemagne devait fatalement rencontrer, comme concurrente et comme adversaire, l’Angleterre ; mais, ni dans la politique de Guillaume II, ni dans celle de la reine Victoria et de ses ministres, on ne relève un dessein prémédité et suivi de l’un des deux gouvernemens contre l’autre. Bismarck lui-même, nous l’avons vu, a esquissé, à certains momens, une politique de résistance à l’omnipotence anglaise hors d’Europe ; on a même affirmé que cette tendance nouvelle qui paraissait aller en s’accentuant, avait été l’une des causes du différend qui amena la chute du tout-puissant chancelier ; et, de fait, on a vu son successeur, le comte de Caprivi, incliner ouvertement vers une politique d’entente avec le Cabinet de Londres. Le prince de Hohenlohe, dans ses rapports avec le gouvernement