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l’Empire pour une commande de cinq marks, un air altier de conquérant toujours prêt, même hors de propos, à dire comme son Empereur : « Nous autres Allemands, nous craignons Dieu, et nous ne craignons rien autre au monde. »

La rivalité qui allait s’exaspérant entre les deux peuples finit par faire sentir son influence dans les conseils des gouvernemens. « L’Angleterre est plus importante pour nous que Zanzibar et toute la côte orientale de l’Afrique, » disait Bismarck, et il évitait, dans les occasions graves, de la heurter de front. Il se disait « Anglais, » en Egypte, « Français, » en Tunisie, parce que l’Egypte et la Tunisie brouillaient Paris avec Londres et le Quirinal. Son coup d’œil cependant devinait les besoins nouveaux de l’Allemagne industrielle ; il annexait, en 1878, les îles Marshall, en 1884, le Luderitzland, la Nouvelle-Guinée, le Togo, le Cameroun, en 1886, l’Afrique orientale ; mais, pourvu que l’Angleterre lui laissât une part honnête, il se montrait arrangeant en affaires coloniales ; en 1886, il signait trois accords, l’un relatif au Pacifique, l’autre au golfe de Guinée, le troisième à Zanzibar et à l’Est africain. Il disait le 10 janvier 1885 : « Avec l’Angleterre nous vivons en bonne entente. Que l’Angleterre, avec la conviction qu’elle a de dominer les mers, éprouve quelque surprise de voir tout à coup ses « rats de terre de cousins, » comme elle nous appelle, se mettre à naviguer, ce n’est pas étonnant… mais nous avons avec l’Angleterre de vieilles relations d’amitié, et les deux pays tiennent à les conserver. » Mais Bismarck est l’homme des contre-assurances (il vient de conclure celle de Skiernevice avec la Russie), l’homme des doubles politiques. Pendant le Congrès de Berlin, le traité anglo-turc du 4 juin et l’occupation de Chypre lui ont révélé toute l’économie de la politique britannique dans la Méditerranée et dans l’Orient musulman ; il cesse désormais de se désintéresser des pays d’Islam. En 1880, il envoie un délégué à la Conférence de Madrid, réunie à propos du Maroc ; s’il lui donne pour instruction de « régler son attitude sur celle de son collègue de France, » l’amiral Jaurès, c’est que, dans cette affaire, la France et l’Allemagne se préoccupent l’une et l’autre de prévenir un protectorat anglais sur le Maroc et d’internationaliser la question marocaine. De 1880 à 1888, les Allemands, sous l’inspiration de M. de Holstein, et sous la direction, sur place, de M. de Tattenbach, déploient une grande